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Publicitaires et Hadopi unis pour tuer les sites pirates

L’équipe de l’Hadopi est conduite par Marie-Francoise Marais, Présidente, Eric Walter, secrétaire général et Mireille Imbert-Quaretta, présidente de la Commission de Protection des droits.

L’équipe de l’Hadopi est conduite par Marie-Francoise Marais, Présidente, Eric Walter, secrétaire général et Mireille Imbert-Quaretta, présidente de la Commission de Protection des droits. - Miguel Medina - AFP

La lutte contre le piratage se poursuit avec une stratégie du ministère de la Culture qui vise à inciter les annonceurs à ne plus acheter de pub sur les sites pirates pour les asphyxier financièrement.

Quand la Hadopi promettait d’assécher financièrement les sites de téléchargement illégal, on ne pensait pas que cette décision serait si rapidement appliquée. Depuis le début de l’année, la machine est en marche.

Fleur Pellerin, ministre de la Culture, a annoncé il y a quelques jours de mesures de lutte contre le piratage de fichiers protégés par le droit d’auteur. Après la riposte puis de la réponse graduée qui visent les internautes, place à l’offensive financière qui cette fois va impacter les revenus publicitaires des sites de streaming, de téléchargement direct ou de référencement qui "tirent des profits de la mise en ligne d’œuvres sans rémunérer les créateurs en conséquence".

En effet, l’incohérence du système permet aux annonceurs et aux régies publicitaires d’acheter des espaces publicitaires sur des plateformes illégales. Ainsi, si leur accès est gratuit, ces sites arrivent à se rémunérer parfois grassement.

Cette stratégie va s’appuyer sur une charte "d’engagement des professionnels de la publicité contre les sites illicites" qui s’inspirent du rapport de Mireille Imbert-Quaretta, présidente de la commission de protection des droits (CPD). Publié en 2014, ce texte a "permis d'identifier une série d’actions permettant d'assécher les ressources des sites illicites, et de rendre plus efficaces les mesures de retrait".

La charte de Fleur Pellerin sera "l'un des axes de la lutte contre le piratage, construite autour du développement de l'offre légale, qui sera menée par la ministre au cours de l’année 2015".

La charte est-elle un SOPA "à la française" ?

La rédaction de cette charte a été confiée à Julien Neutres, Chargé de mission auprès de la présidente du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), et sera élaborée en concertation avec les acteurs de la publicité. Elle sera finalisée dès le mois de février. Comme le précise Fleur Pellerin, cette stratégie est "une démarche volontaire d’éviction des sites ne respectant pas le droit d’auteur et les droits voisins". Comme le précise le ministère, une liste de sites à bannir sera constituée.

Par contre, des organisations d’internautes, comme la Quadrature du Net, s’élèvent contre ce plan. Pour l’association, qui précise qu'elle ne soutient pas le téléchargement illégal, "ces dispositions rappellent très fortement les principes de fonctionnement de la loi SOPA aux États-Unis ou de l'accord ACTA. Il s'agit à nouveau d'impliquer des intermédiaires dans la mise en œuvre du droit d'auteur, cette fois par une coopération volontaire et non plus par la contrainte de la loi et du juge". Ce sera donc une autorité administrative de gérer le dossier. Il est parfaitement clair que cette autorité sera… la Hadopi qui reste la bête noire des internautes.

Ce lien avec les dispositifs américains n’est pas une première. En 2013, la QdN accusait déjà le rapport Lescure de "reprendre à son compte les positions de l'industrie du divertissement qui entachaient déjà l'accord ACTA ou les projets de loi PIPA/SOPA aux États-Unis".

Les dérives inquiètent les internautes

La QdN s’inquiète des dérives de cette mesure. Pour elle, la catégorie de "sites massivement contrefaisant" reste floue. "Une fois que les régies publicitaires seront impliquées, rien n'empêchera d'élargir ces mesures aux intermédiaires de paiement, aux moteurs de recherche, aux hébergeurs, aux registraires de noms de domaine, etc". Bref, pour la QdN, cette charte pourrait devenir un outil de censure.

Aux États-Unis, Sopa (Stop Online Piracy Act) et Acta ont créé une levée de boucliers qui a rassemblé des millions d’internautes, des personnalités du Net comme Vinton Cerf, des groupes comme les Anonymous, des associations comme Wikipedia et même les géants américains de l’Internet comme AOL, eBay, Facebook, Foursquare, Google ou encore Mozilla ou Twitter.

Pour faire tomber ces dispositifs, considérés ni plus ni moins comme une censure, un blackout a été décidé au cours duquel les sites Web ont été fermés pendant 12 heures.

La charte de Fleur Pellerin conduira-t-elle les acteurs de l’internet à faire de même ? Rien n’est moins sûr. D’autant que cette initiative, qui aurait dû provoquer de nombreux débat, est tombée par un malheureux hasard, en même temps que les attentats parisiens qui eux aussi pourraient conduire le gouvernement à s’inspirer du Patriot Act américain qui a conduit, comme chacun le sait, à une dérive qui a conduit à Prism, le programme de surveillance dénoncé par Edward Snowden.

Pascal Samama