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Quand Canal Plus fait l'éloge de beIN Sports...

BeIn Sports veut raffler à Canal Plus les droits de diffusion du Top 14

BeIn Sports veut raffler à Canal Plus les droits de diffusion du Top 14 - Rémy Gavalda AFP

La cour d'appel de Paris décidera le 9 octobre de maintenir ou non le contrat de diffusion du rugby sur Canal Plus. Ce jeudi 4 septembre, l'avocat général a requis sa suspension.

Il est rare mais savoureux de voir une entreprise se dénigrer tout en dressant les louanges de son concurrent. C'est pourtant ce qui est arrivé jeudi 4 septembre devant la cour d'appel de Paris, où Canal Plus a joué les Caliméro.

"Canal perd des abonnés"

"Canal Plus perd des abonnés, c'est une donnée officielle. Et Canal a même continué à perdre des abonnés après avoir annoncé qu'il conservait les droits du Top 14 de rugby", a plaidé Me Pascal Wilhelm, l'avocat de la chaîne cryptée, qui a simultanément dressé un portrait élogieux de son rival: "beIN Sports a acquis quasiment autant de droits sportifs que Canal Plus. beIN Sports est un vrai succès. La coupe du monde de football lui a permis de prendre quasiment un million d'abonnés. Au total, beIN Sports a gagné plus de 2 millions d'abonnés en deux ans -peut être même 2,5 millions. Jamais personne n'y était arrivé, même pas Canal Plus. TPS Star n'a jamais dépassé 1,4 million d'abonnés, et les chaînes Orange n'ont jamais dépassé un million".

Surtout, "il n'y a pas de risque que beIN Sports disparaisse, car c'est une filiale de l'Etat du Qatar, un actionnaire prestigieux qui ne manque pas de moyens", a souligné l'avocat de Canal Plus.

La ligue estime ses droits survalorisés

Si Canal Plus adopte un tel discours, c'est pour prendre le contrepied de la décision de l'Autorité de la concurrence du 30 juillet. Dans cette décision, le gendarme de la concurrence a suspendu l'accord de diffusion du top 14 sur la chaîne cryptée afin de protéger le "petit" beIN Sports contre le "gros" Canal Plus.

Canal Plus et la ligue nationale de rugby ont tous deux contesté cette décision du gendarme de la concurrence devant la cour d'appel de Paris, qui a examiné l'affaire lors d'une audience jeudi 4 septembre.

L'avocat de la ligue, Me Eric Barbier de la Serre du cabinet Jones Day, a adopté la même stratégie que Canal et dressé les louanges de la chaîne qatarie: "beIN Sports est dans une situation florissante, prospère, parfaitement installée, soutenue par un Etat souverain. Ses ventes explosent: elle a indiqué avoir probablement 2,2 millions d'abonnés". 

De manière inattendue, l'avocat de la ligue a dévalorisé les droits de diffusion du Top 14: "la valeur de ces droits a été totalement exagérée par l'Autorité de la concurrence, qui s'est appuyée sur des chiffres fantaisistes". Notamment quand beIN Sports assure que le Top 14 lui permettrait de gagner 2 millions d'abonnés: "c'est parfaitement impossible. Cela représenterait 290 millions d'euros de chiffre d'affaires. La ligue n'aurait pas vendu ces droits 71 millions d'euros si elle savait que cela générerait autant de chiffre d'affaires!"

Le gendarme de la concurrence soutenu par Bercy 

Las! Ceci n'a pas convaincu le représentant de Bercy, qui a soutenu le gendarme de la concurrence. "Je suis sidéré que la ligue dise que ses droits ne sont pas si attractifs que cela. La ligue ne défend pas ses intérêts avec ce type de position", a assuré André Marie, sous-directeur adjoint à la Direction de la concurrence (DGCCRF). Selon lui, la ligue n'a "aucune crédibilité" lorsqu'elle craint de toucher moins d'argent via un appel d'offres ouvert à tous, que via son accord négocié de gré-à-gré avec Canal Plus.

L'avocate de beIN Sports, Me Marie-Cécile Rameau du cabinet Bredin Prat, a expliqué que la chaîne sportive "a fait le plein des amateurs de foot, et a besoin des amateurs de rugby pour se développer". Elle a assuré que le Top 14 serait plus regardé sur beIN Sports qu'avec Canal Plus, "où plus de la moitié des matches sont très sous-exposés, étant diffusés sur l'option payante Rugby+, qui ne compte que 120 à 130.000 abonnés". 

Un argument repris par l'avocat général Marc Brisset-Foucault, qui estime que l'accord avec Canal Plus "prive une partie de la population de l'accès au rugby", ce dont la ligue devrait plutôt se préoccuper. Selon lui, "il serait dommageable pour l'économie française qu'un investisseur étranger ait l'impression que le marché français est verrouillé". Enfin, il a estimé que la décision du gendarme de la concurrence était "juste, équitable, pleine de bon sens, et particulièrement bien motivée". Il a donc requis le rejet des recours de Canal Plus et de la ligue.

Verdict le 9 octobre.

Valeur des droits du Top 14

saisons 1998 à 2003 : 10,7 millions d’euros
saisons 2003 à 2007 : 19,5 millions d’euros
saisons 2007 à 2011 : 27,8 millions d’euros
saisons 2011 à 2014 : 30,5 millions d’euros
saisons 2014 à 2019 : 71 millions d’euros

Source: Autorité de la concurrence

Jamal Henni