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Energie

Quels modèles pour le développement de l’énergie?

Pour achever les grands objectifs mondiaux en termes d'accès à l'énergie et permettre les investissements, beaucoup d'incertitudes devront être levées.

Pour achever les grands objectifs mondiaux en termes d'accès à l'énergie et permettre les investissements, beaucoup d'incertitudes devront être levées. - © Jürgen from Sandesneben

Le Conseil Mondial de l’Énergie* publie chaque année le “World Energy Trilemma”, un document de référence pour le monde de l’énergie. Il propose des scenarii qui servent de base à la réflexion stratégique des acteurs de ce secteur. Christoph Frei est Secrétaire de cette instance internationale, il a répondu à nos questions sur les incertitudes, les besoins et les spécificités qui caractérisent ce secteur si important.

Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est le Conseil Mondial de l’Énergie, qui le compose et ses missions ?

Christoph Frei: Le World Energy Council est une organisation qui a été créée en 1923, par une trentaine de pays. Aujourd’hui nous regroupons 95 pays et 3000 organisations, dont 38% sont issues secteur privé, 7% de gouvernements, 24% d’origine académique et enfin, des ONG, des associations et des entités proches ou intéressées par l’énergie

Notre vision “promouvoir l’approvisionnement durable et l’usage de l’énergie au bénéfice du plus grand nombre“ se caractérise à travers le Trilemme que nous publions chaque année. Celui-ci propose une analyse basée sur trois dimensions fondamentales de l’énergie:

  • La sécurité d’approvisionnement
  • La durabilité environnementale
  • L’équité, c’est à dire l’accès à une énergie abordable

Quand cet équilibre n’est pas assuré, tôt ou tard un changement politique radical empêchera les investissements de se faire. 

Nous disons que l’un des challenges majeurs aujourd’hui est de fournir les investissements nécessaires, c’est à dire 60% du PIB global, dans 48 pays au cours des 20 prochaines années.

Les investisseurs nous disent que la barrière principale à cet objectif c’est l’incertitude des décisions politiques. Trop de risques nuit aux investissements !

Ainsi, depuis 1923, notre travail sur des scenarii sert de base aux acteurs de l’énergie pour construire une approche stratégique réfléchie.

Aujourd’hui l’énergie est un monde baigné d’incertitudes ? Est-t-il vraiment fiable de faire des prévisions ?

C.F.: Il n’y a jamais eu de plus grandes incertitudes que maintenant. Il ne s’agit pas de prétendre qu’elles ne sont pas là, mais bien de trouver des moyens de les gérer. Et le Trilemme sert à ça, c’est un mécanisme de gestion d’incertitudes.

Il serait erroné de croire que toute solution à un problème énergétique réside dans une technologie uniquement. Car celle-ci peut être rapidement dépassée ou mise concurrence.

Nous notons que l’incertitude se traduit à travers deux caractéristiques. La première, c’est une accélération des prix et des technologies. La deuxième, une plus grande complexité qu’il y a 20 ans. À cette époque, le seul signal prix du pétrole conditionnait le marché, aujourd’hui il faut y ajouter celui du gaz, du solaire, du CO2,… 

Quel est le grand enjeu en terme d’accès l’accès à l’énergie ?

C.F. : Clairement celui de l’équité. Les morts imputables au manque d’accès à l’électricité, principalement les femmes et les enfants qui collectent le bois destiné à la cuisine, dépassent celles de la malaria, tuberculose et sida. C’est le problème dramatique des fumées intérieures.

Il faut y ajouter les conséquences migratoires que cela implique. L’équité est un objectif de stabilité géopolitique et géoéconomique. C’est la raison pour laquelle le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, a déclaré que l’énergie était le plus important des objectifs du millénaire

Parmi vos membres, on trouve beaucoup de majors de l’énergie. Comment abordent-elles ce nouveau paysage ?

C.F.: Les scenarii que nous mettons à leur disposition disent tous que les actuels efforts ne suffiront pas pour converger vers un monde à 2°C et vers l’objectif déclaré très récemment par le G7.

Il faut donc une accélération sur les plans de l’innovation technologique et politique, je pense à la COP21 à Paris cette année. Il faut également entamer des négociations, pour supprimer les barrières commerciales, et permettre les transferts technologiques.

Ils disent également que deux acteurs vont voir leur place évoluer. Le gaz naturel, qui prend une plus grande place, au détriment du charbon qui subit de fortes pressions pour des raisons climatiques, sanitaires et environnementales et une grande percée technologique autour du stockage électrique -batteries-, pendant que le pétrole reste à un niveau équivalent. 

Le secteur électrique a fait de grands progrès en terme de renouvelable. Mais, il fait face à deux problématiques. La première c’est le manque de clarté sur prix du CO2. Or, ce secteur en a besoin pour pouvoir engager des investissements. La deuxième, c’est que la part grandissante, dans le mix énergétique mondial du renouvelable, -30 à 50% d’ici 2050 selon nos scenarii- conduit à un “market-design“ qui ne fonctionne plus. En d’autres termes, c’est la dernière entité qui définit le prix du marché. Celui-ci étant proche de zéro, il n’y a plus de modèle permettant de rembourser le capital investi.

Sans clarification de ces incertitudes, le secteur électrique ne conduira pas les investissements nécessaires en termes du changement climatique et de la sécurité des approvisionnements.

Le secteur gazier est celui qui doit jouer un rôle de transition en vue d’un mix énergétique mondial moins carboné. C’est aussi un secteur dans lequel les infrastructures et les investissements sont très lourds et risqués.

Si on veut voir le gaz jouer son rôle de sécurité d’approvisionnement et d’énergie de transition, il faut aussi mettre en place des mécaniques de marché qui le permettront. Même s’il faut différencier les enjeux du gaz selon les régions du monde, le besoin de clarté sur le prix du CO2 va définir sa compétitivité par rapport au charbon. N’oublions pas que chaque nouvelle centrale construite aujourd’hui durera 40 ou 50 ans. Autant de temps d’émissions de CO2.

Christoph Frei: "Mener des projets ne sera donc pas uniquement une question argent, mais bien de modèles d’entreprises plus décentralisées et de partenariats créatifs".
Christoph Frei: "Mener des projets ne sera donc pas uniquement une question argent, mais bien de modèles d’entreprises plus décentralisées et de partenariats créatifs". © © WEC

Y-a-t-il un modèle économique spécifique pour l’accès à l’énergie des pays en développement ?

C.F.: Le G7 a parlé de 100 milliards d’euros par an d’investissements nécessaires jusqu'en 2020 pour permettre la transition dans les pays en développement. Mais nous pensons qu’il est trop simple d’affirmer que ce n’est qu’une question d’argent. Car, la région qui maintiendra le plus bas niveau d’accès à l’énergie, c’est l’Afrique avec entre 300 et 500 millions de personnes concernées. Principale raison à cet état de fait : la ruralité. Il restera beaucoup de villages éloignés de tout réseau de distribution. Mener des projets ne sera donc pas uniquement une question argent, mais bien de modèles d’entreprises plus décentralisées et de partenariats créatifs. Ce qui est très encourageant, c’est de constater que de nouvelles approches, que personne n’aurait crues possibles il y a encore quelques années, surgissent et fonctionnent. Je pense à la réforme de l’énergie au Mexique, de l’arrêt des subventions en Inde, tout en maintenant le soutien aux plus pauvres, aux projets BOP (ndlr : Bottom Of Pyramid) en Afrique, etc. Il faut avoir une vision d’ensemble et trouver les bons stimuli pour favoriser ces approches accélérer l’échelle de temps.

En conclusion, êtes-vous confiant pour l’avenir ?

C.F.: Il y a énormément de bonnes nouvelles récemment. Ce qui s’est passé au G7 la semaine dernière est historique. C’est la première fois que ce groupe dit des choses difficiles à dire: l’élimination des ressources fossiles à la fin du siècle, l’engagement pour les 2°C. Qui aurait imaginé cela il y a encore seulement un an?

L’accord USA-Chine est également un grand point de satisfaction.

Beaucoup d’éléments avancent, il faut néanmoins surveiller -et apporter des réponses- à ceux qui avancent moins bien:

  • Le “Market design" critique, j’en parlais tout à l’heure
  • L'intégration régionale, qui est trop lente
  • L’aspect financier assez opaque: qui va payer?

Nous sommes à un “tipping point“ (ndlr: point de bascule).

Beaucoup de choses s’accélèrent pour réussir une transition énergétique et l’urgence est devenue claire pour tout le monde. Ce qui est fondamental. Nous souhaitons que nos études contribuent à obtenir les résultats souhaités!

*Le Conseil Mondial de l’Énergie est un réseau impartial principal de leaders et de praticiens promouvant un système énergétique abordable, stable et respectueux de l’environnement pour le bénéfice du plus grand nombre.

Fondé en 1923, le Conseil est l'organisme d’énergie accrédité auprès des Nations Unies, le plus représentatif du monde de l’énergie, avec plus de 3.000 organisations membres situées dans plus de 90 pays. Il est composé de gouvernements, de sociétés privées ou publiques, du monde universitaire, d’ONG et de parties prenantes liées à l'énergie.

Le Conseil Mondial de l’Énergie informe des stratégies d'énergie mondiales, régionales et nationales en organisant des événements de haut niveau, en publiant des études qui font autorité et travaille, via un vaste réseau de membres, à faciliter le dialogue de la politique énergétique dans le monde.

La synthèse du Trilemme publié par le World Energy Council chaque année
La synthèse du Trilemme publié par le World Energy Council chaque année © © WEC-2015

Découvrez la réponse TOTAL Entretien avec Thomas Thivillon, responsable du Pôle Energie d’Entrepreneurs du Monde Le Groupe est à l'origine de nombreuses initiatives pour donner accès à l'énergie aux plus pauvres des pays en développement, Awango by Total en est un exemple. Thomas Thivillon nous répond sur les difficultés et les enjeux des actions d’Entrepreneurs du Monde, une ONG travaillant avec Total sur ce sujet.

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Yves Cappelaire