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Rachat de Bouygues Telecom par SFR: pourquoi Macron est furieux

Les 5 milliards d'euros des enchères allemandes faisaient rêver Emmanuel Macron

Les 5 milliards d'euros des enchères allemandes faisaient rêver Emmanuel Macron - Lionel Bonaventure - AFP

Le rachat de Bouygues Telecom compromet clairement les enchères de fréquences prévues pour l'automne. Elles vont, sans aucun doute, rapporter moins que prévu à l'Etat qui comptait dessus pour boucler le budget de la Défense.

Les évolutions de la pensée gouvernementales sont parfois difficiles à suivre. Il y a un an, le gouvernement plaidait pour un rapprochement entre SFR et Bouygues Telecom.

Un an plus tard, alors que ce rachat a enfin lieu, ce même gouvernement vitupère contre un rachat de Bouygues Telecom par SFR. Aurait-il soudain découvert que les doublons du nouvel ensemble génèrent d'importants risques pour l'emploi?

Hélas non. Les préoccupations gouvernementales semblent moins altruistes. Apparemment, il est furieux avant tout parce que ce rachat compromet grandement les enchères de fréquences prévues à l'automne 2015. Et l'on peut d'ores et déjà prédire que ces enchères rapporteront bien moins que prévu pour plusieurs raisons.

Des candidats démotivés

Avant tout, le rachat fait disparaître purement et simplement un des quatre enchérisseurs, Bouygues Telecom.

Ensuite, l'opération démotive largement un autre enchérisseur, Free. En effet, le trublion des télécoms va récupérer au passage et pour une bouchée de pain une partie des fréquences de Bouygues Telecom.

Plus largement, c'est même l'incitation à la surenchère qui disparaît. En effet, les enchères étaient basées sur quatre rivaux prêts à casser leur tirelire pour empêcher leur concurrent d'avoir plus de fréquences.

Enfin, et non des moindres, le risque d'une entente entre candidats est non négligeable. En effet, SFR Numericable, Free et Orange sont actuellement en pleines négociations sur le partage de Bouygues Telecom. Et personne ne saura si tout ce beau petit monde ne parle pas des enchères à la pause café... Selon certaines sources, Bercy avait même été alerté sur ce risque d'entente, mais aucun garde fou n'a pour autant été mis en place, comme il en existe pourtant aux Etats-Unis (cf. encadré).

Bercy cornerisé

Hasard ou coïncidence? Ce rachat est annoncé juste après que les modalités des enchères aient été gravées dans le marbre, et peu avant que ces enchères aient lieu. Précisément, le projet de rachat a fuité dimanche 21 juin, soit deux jours après que les modalités des enchères aient été fixées, et deux jours avant que les députés examinent la loi sur le sujet, à moins qu'elle ne soit maintenant devenue une loi hors sujet... "SFR Numericable voulait absolument toper avec Bouygues avant que les enchères aient lieu", justifie le patron d'un opérateur.

Bref, le rachat intervient dans un timing qui cornerise les pouvoirs publics. Ces derniers peuvent certes mettre au panier leur projet, et en adopter un autre, par exemple en permettant à chaque opérateur d'obtenir plus de fréquences. Mais cela prendra du temps, alors que le calendrier est déjà très tendu: en théorie, l'argent des enchères doit permettre de boucler le budget de la Défense en 2015. 

Sauver les meubles

Aujourd'hui, la question n'est donc même plus de savoir si le gouvernement va toucher moins qu'espéré, mais plutôt s'il arrivera seulement à vendre tout ce qu'il a offrir.

"Toutes les fréquences devraient trouver preneur, assure, optimiste, un opérateur. D'abord, c'est la dernière attribution de fréquences avant longtemps. Ensuite, ce sont des fréquences d'excellente qualité qui permettent aux ondes de se propager loin. De plus, laisser des fréquences en jachère est risqué, car elles peuvent ensuite être prise par l'audiovisuel ou un nouvel opérateur. Enfin, Orange, dont l'Etat détient 25%, devrait se dévouer".

Dans un tel scénario où toutes les fréquences trouvent preneur, Bercy devrait donc empocher le prix de réserve qu'il a fixé, soit 2,5 milliards d'euros.

Interrogé, Orange a répondu qu'il sera "bien sûr candidat". De même, SFR Numericable renvoie aux déclarations de son PDG Eric Denoyer dans les Echos: "nous allons évidemment acquérir des fréquences". De leur côté, l'Arcep et Free se sont refusés à tout commentaire, tandis que la porte-parole d'Emmanuel Macron n'a pas répondu.

Aux Etats-Unis, silence dans les rangs pendant les enchères

Aux Etats-Unis, lorsque les enchères débutent pour l’attribution nouvelles fréquences, une période de silence (quiet period) est imposée aux opérateurs, qui ont alors interdiction absolue de discuter entre eux. Une mesure destinée à prévenir toute entente entre opérateurs.

Lorsque Free avait voulu acquérir l'opérateur américain T-Mobile, à l’été 2014, le français avait bénéficié du fait que tous les opérateurs américains ne pouvaient discuter entre eux en raison des enchères organisées à l’automne 2014 par le FCC américaine pour attribuer plusieurs bandes de fréquences (1700 et 2100 mégahertz).

Mais Free avait fini par jeter l’éponge. L’opérateur français avait renoncé à son épopée américaine devant le refus de Deutsche Telekom de céder sa filiale américaine, avant que les enchères ne débutent.

Frédéric Bergé

Jamal Henni