BFM Business
Services

RATP contre Citymapper: ce que cache le bras-de-fer

La passe d'armes entre Citymapper et la RATP ne peut se résumer à l'histoire d'une petite start-up contre un géant à la culture monopolistique.

La passe d'armes entre Citymapper et la RATP ne peut se résumer à l'histoire d'une petite start-up contre un géant à la culture monopolistique. - Michael Bocchieri - GETTY - AFP

"La start-up et la régie parisienne s’écharpent sur la place publique, la première accusant la deuxième de faire de la rétention de données. Ce conflit pose la question bien plus large des conditions de l’ouverture des données publiques aux entreprises."

L’histoire pourrait ressembler à celle de David contre Goliath. La petite start-up dont l’application permet aux Franciliens de calculer les meilleurs itinéraires en transports en commun, à qui la RATP, le géant à la culture du monopole, coupe l’accès aux données qui font son business. Une RATP qui s’est déjà fait remarquer en mettant des bâtons dans les roues d'application de transports.

Mais ce serait occulter une part du débat fondamental qu’illustre le rapport de force entre Citymapper et la régie des transports parisiens: la question de l’ouverture des données publiques gratuitement à des entreprises qui en font un usage commercial.

La RATP coupe l'accès à des données clés

Rappel des faits: une des clés du succès de Citymapper, qui a levé 40 millions de dollars auprès d’investisseurs de renom en janvier, est que ses calculs prenaient en compte le moindre incident de circulation. Mais depuis la semaine dernière la RATP lui a coupé l’accès aux données en temps réel. C’est le point de départ du bras de fer.

Du coup, Citymapper a publié un billet sur son site, lancé une pétition qui recueille à ce jour près de 20.000 signatures. Les médias se sont emparés du sujet, et des start-uppers comme le fondateur de Drivy ont pris fait et cause pour l’application. Devant le tollé, la RATP a réagi pour donner sa version des faits.

Un "pompage" de données 

La régie rappelle que contrairement aux horaires théoriques, à la localisation des arrêts de bus, tram, RER, et tout un tas d’autres données qu’elle met gracieusement à disposition des développeurs, celles sur le trafic en temps réel ne sont pas encore disponibles en open data. Pour personne. "Ni pour Citymapper, ni pour ses concurrentes Moovit’, Transit’, ni même pour Transilien", explique Dominique Ternay, le directeur du marketing de la RATP.

Jusque-là, Citymapper "pompait" ces données depuis le site de la RATP, sans autorisation expresse de la régie, convient un salarié de l’application lui-même. Problème: elle a été victime de son succès. Le niveau de requêtes de l’application téléchargée plus d’un million de fois sur Android a atteint des sommets. Ce qui aurait mené, à en croire la régie, à faire bugger le site de la RATP, pas prévu pour supporter une telle masse de transferts. Du coup, le groupe public explique s’être vu dans l’obligation de couper le robinet.

Un problème qui ne se pose qu'à Paris ?

Citymapper sous-entend de son côté que la RATP, qui investit 30 millions d'euros dans ses infrastructures numériques sur deux ans, aurait surtout pour ambition de tuer la concurrence. Elle réclame d’y avoir à nouveau très vite accès. L'opérateur des transports parisiens répond qu’elle l'aura en même temps que tous les autres, courant 2016. Le temps de construire une infrastructure qui gère ces flux. Mais la régie envisage, comme la loi Macron le lui permet, de faire participer les gros utilisateurs tels que Citymapper, au financement de serveurs suffisamment puissants. 

L’application londonienne refuse mordicus. Son Business Development manager, Jean-Baptiste Casaux, affirme que, de la trentaine de villes du monde où elle est présente, il n’y a qu’à Paris qu’elle rencontre de telles difficultés. Partout ailleurs, "les opérateurs des transports publics fournissent ces données gratuitement, et en échange, nous leur donnons des feedbacks sur leurs datas que nous font remonter les usagers". 

Du troc ou un péage

Cet échange, c’est justement le sens d’un amendement, qui va toutefois un peu plus loin, et que vient de déposer la candidate à la primaire des Républicains Nathalie Kosciusco-Morizet au Projet de la loi sur la République numérique. Un texte -parmi d’autres- qui se penche justement sur les questions de l’ouverture des données des services publics. La députée propose une mise à disposition gratuite sous conditions: soit les entreprises échangent les données publiques contre celles qu’elles récupèrent elles-mêmes sur leurs utilisateurs, soit elles les paient. Un moyen selon elle de favoriser "l'écosystème français de l'innovation numérique" et de "défendre nos start-up contre les géants américains", indique-t-elle dans l’Opinion.

Le législateur va continuer de se pencher sur ces questions au Sénat fin avril, avant que les députés ne votent le texte courant mai 2016. Mais au-delà des parlementaires français, ce débat sur l’open data est de toute façon mondial, et concerne tous les secteurs, des transports à la santé, en passant par l’éducation.

Nina Godart
https://twitter.com/ninagodart Nina Godart Journaliste BFM Éco