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SFR: pourquoi Numericable met la pression sur Vivendi

Bruxelles pourrait assouplir d'ici mai sa position sur la fusion entre opérateurs mobiles

Bruxelles pourrait assouplir d'ici mai sa position sur la fusion entre opérateurs mobiles - -

Le câblo-opérateur a tout intérêt à boucler rapidement un rachat de SFR pour profiter de l'absence d'offres concurrentes, et de la mini-bulle dont bénéficie le câble en bourse.

Dimanche 23 février au soir, la rumeur a flambé comme une trainée de poudre: la vente de SFR à Numericable serait imminente.

Lundi matin, Vivendi s'est employé à éteindre l'incendie. Le conglomérat a assuré n'avoir "reçu aucune offre formelle" du câblo-opérateur.

Implicitement, Vivendi indiquait ainsi que les rumeurs ne provenaient pas de chez lui, mais du camp d'en face. Off the record, les dirigeants de Vivendi se lâchent. "Numericable nous met la pression", dit l'un à BFM Business. "Patrick Drahi fait du forcing pour faire passer son projet", dit un autre au Monde. En effet, le principal actionnaire de Numericable se répand en assurant que le rachat de SFR "va désormais aller très vite", rapporte un de ses récents interlocuteurs.

Explication: Numericable a tout intérêt à aller vite, et ce pour trois raisons.

1-profiter de la bulle

Selon le schéma envisagé, le câblo-opérateur paierait 15 milliards d'euros pour SFR: 11 milliards d'euros en cash, et le solde en actions. En pratique, il compte apporter 3 milliards d'euros lui-même, et emprunter les 8 milliards d'euros restant.

Problème: Numericable n'a pas 3 milliards d'euros en poche, et de loin. Sa trésorerie ne s'élevait qu'à 19 millions d'euros à fin septembre... Depuis, 250 millions d'euros supplémentaires ont été récoltés lors de l'introduction en bourse.

Et Altice (principal actionnaire de Numéricable avec 40% du capital) n'a pas non plus une telle somme. A fin septembre, sa trésorerie s'élevait à 130 millions d'euros, auxquels s'ajoutent 750 millions d'euros levés lors de la cotation en janvier.

Pour trouver l'argent qui manque, Numericable (et probablement Altice) vont donc devoir lever à nouveau de l'argent en bourse, via des augmentations de capital. "Il y a besoin d'une augmentation de capital significative au niveau de Numericable et/ou d'Altice", écrivaient lundi les analystes d'Exane.

Cette augmentation de capital promet d'être massive: en effet, l'argent à récolter est presque aussi important que la valeur actuelle de Numericable en bourse, qui est de 4 milliards d'euros.

Et chez Altice, en cas de "fusion ou de rachat annoncé publiquement", une clause permet de procéder à une augmentation de capital géante (jusqu'à 50% d'actions supplémentaires) un mois et demi après la cotation, soit à partir de mi-mars.

Toutefois, pour que ces augmentations de capital se passent bien, et ne diluent pas trop les actionnaires actuels, il faut que les cours de Numericable et d'Altice soient les plus élevés possibles.

Heureux hasard: la valorisation du câble en bourse est actuellement très élevée. En moyenne, un câblo-opérateur est valorisé aujourd'hui 9,7 fois son excédent brut d'exploitation, contre 5 fois en 2009.

Et c'est précisément au moment de cette mini-bulle que Numericable et Altice ont été mis en bourse à toute vitesse, sans même attendre que les comptes 2013 soient disponibles, ou que les dernières acquisitions soient finalisées... Pour Exane, "le calendrier choisi était parfait" pour optimiser la valorisation.

Problème: si cette mini-bulle se dégonfle, le rachat de SFR sera bien plus difficile à financer. D'où l'intérêt d'aller vite...

2-la prophétie auto-réalisatrice

En général, les analystes financiers valorisent une entreprise en se basant sur ses résultats à venir. Mais, dans le cas de Numericable, la méthode suivie est différente. Les analystes ont ajouté à leur valorisation traditionnelle une prime spéculative liée au rachat de SFR. En effet, ils prédisent que ce rachat générera d'importantes synergies, qui augmenteront la rentabilité de l'ensemble.

Précisément, les analystes valorisent ces synergies SFR-Numericable entre 2,15 et 6 milliards d'euros. Cela représente donc une large part de la valorisation totale de Numericable, qui est de 6,5 milliards d'euros (en incluant la dette de 2,5 milliards d'euros). Comme l'écrit Exane, "la valorisation d'une fusion potentielle avec SFR est importante par rapport à la valeur de l'activité de Numericable prise isolément -cela double virtuellement la valeur des actions".

Toute rumeur allant dans le sens d'un rachat de SFR fait donc monter l'action. Ainsi, l'action Numericable a progressé lundi de +6,85%. "C'est paradoxal, car en réalité, le rachat de SFR se fera via une augmentation de capital massive, ce qui devrait au contraire faire baisser le cours", pointe un expert.

Inversement, si le rachat de SFR est menacé ou ne se fait pas, le cours de Numericable pourrait bien chuter...

3-être le premier à dégainer

Numericable dispose d'un avantage: c'est le premier à avoir proposé à Vivendi une offre de rachat de SFR. Son intérêt est donc de boucler rapidement le rachat avant que des offres concurrentes émergent.

Mais l'intérêt de Vivendi est à l'exact opposé. "Notre stratégie n'est pas d'accepter la première offre venue, mais d'avoir un maximum de propostions sur la table afin de pouvoir choisir la plus élevée", indique-t-on au sein du conglomérat.

Las! Pour l'instant, Vivendi n'a qu'une seule autre option: la cotation de SFR, et a répété mardi lors de ses résultats que cette cotation était toujours programmée pour mi-2014. Reste que cette introduction en bourse est hasardeuse: si SFR vaut en bourse moins que les 15 milliards d'euros proposés par Numericable, alors Vivendi aura perdu au change...

Mais Vivendi espère qu'un autre opérateur déposera une offre. "Si le prix proposé par Numericable est trop bas, alors la bonne affaire pourra attirer un étranger comme Vodafone", remarque un banquier proche de Numericable.

L'idéal serait un rachat par un opérateur mobile français. En pratique, la seule possiblité est Free, vu les difficultés financières de Bouygues Telecom. Une tentative de rachat de SFR par Free a même eu lieu il y a un an, mais s'est heurtée au veto de l'Autorité de la concurrence.

Toutefois, la jurisprudence sur le sujet pourrait évoluer. En effet, la Commission européenne examine actuellement le passage de 4 à 3 opérateurs mobiles en Irlande, puis en Allemagne. "Si Bruxelles bénit une consolidation en Allemagne qui est le marché le moins concurrentiel d'Europe, alors ce sera un feu vert pour une consolidation partout ailleurs", prédit un expert. Cette décision -attendue d'ici mai- pourrait donc rouvrir le jeu en France. Là encore, Numericable a donc tout intérêt à boucler son rachat avant...

Jamal Henni