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TF1 réclame 230 millions d'euros à l'État mais n'obtient rien

TF1 continue à attaquer l'État alors que M6 a déjà perdu

TF1 continue à attaquer l'État alors que M6 a déjà perdu - Serge Surpin Satellifax

La Une affirme avoir subi un préjudice grave lors de l'arrêt de la diffusion en analogique. Mais la cour d'appel vient de la débouter.

En ces temps de crise, TF1 cherche de l'argent tous azimuts. D'un côté, la filiale de Bouygues espère soutirer une centaine de millions d'euros aux opérateurs télécoms. De l'autre, elle réclame 230 millions d'euros à l'État. Motif: la Une aurait subi un "préjudice grave" lors du passage de la diffusion analogique à la diffusion numérique (TNT). 

Las! L'affaire se présente mal. TF1 a déjà présenté sa demande à l'État, puis au tribunal administratif, puis à la cour d'appel, mais s'est fait débouter à chaque fois.

Arrêt trois mois avant terme

Argument de la Une: sa licence de diffusion en analogique durait jusqu'en février 2012. Mais sa diffusion en analogique s'est arrêtée progressivement entre mars 2008 et novembre 2011.

Cet argument vient d'être balayé par la cour d'appel: "TF1 n'apporte pas d'éléments permettant d'établir la réalité de ces coûts ou le manque à gagner, notamment dû à la perte de recettes publicitaires, qu'aurait entraîné pour TF1, l'abrogation, quelques mois seulement avant la date initialement prévue, de sa licence en analogique". La cour ajoute qu'une licence en numérique "s'est simultanément substituée" à la licence en analogique.

Préjudice reconnu

Pourtant, l'existence d'un préjudice avait été reconnu par le Conseil constitutionnel, et l'État. Le gouvernement Fillon avait clairement déclaré que TF1, M6 et Canal Plus avaient "la possibilité de demander une indemnité au titre du préjudice subi". Il ajoutait que le chiffrage de ce préjudice restait "un exercice délicat" et "difficile". Dès lors, "il est plus sûr de laisser aux chaînes le soin d’établir la réalité et la consistance des préjudices qu’elles peuvent avoir subi. Il a donc paru préférable de laisser aux chaînes le soin de préciser leurs prétentions en saisissant l’État d’une demande indemnitaire".

Un cadeau bonus mort-né

Rappelons que le gouvernement Raffarin avait prévu d'indemniser ce préjudice en donnant à chacune des trois chaînes historiques une chaîne supplémentaire sur la TNT. Mais cette solution souleva plusieurs problèmes. D'abord, Bruxelles douta de la légalité de ces chaînes bonus. Surtout, Canal Plus voulut utiliser sa chaîne bonus pour se lancer dans la télévision gratuite. Face à cela, TF1 et M6 ont préféré renoncer à leur chaîne bonus, et ont convaincu le gouvernement Fillon de les supprimer. Cela forcera Canal à racheter Direct 8 à Bolloré pour mettre un pied dans la télévision gratuite...

Mais aujourd'hui, la Une prétend devant la justice, études à l'appui, que cette chaîne bonus avait une grande valeur, et qu'elle doit donc être indemnisée pour en avoir été privée... Mais en vain: "La circonstance que le législateur eût décidé, dans un premier temps, d'attribuer un canal bonus à TF1 en contrepartie de l'extinction anticipée de sa licence analogique, n'est pas de nature à établir l'existence d'un préjudice", a estimé le tribunal administratif.

M6 débouté

TF1 dispose désormais d'un ultime recours: porter l'affaire devant le Conseil d'Etat. Interrogée, la Une répond "réfléchir à une poursuite de la procédure, mais rien n’est décidé aujourd’hui".

Toutefois, les chances de succès paraissent faibles. En effet, le Conseil d'Etat s'est déjà penché sur la question il y a deux ans, suite à une plainte de M6, qui réclamait 98,77 millions d'euros de dommages pour le même motif. Mais la haute juridiction a débouté la Six avec des arguments semblables: "Les éléments avancés par M6 ne permettent pas d'établir l'existence d'un préjudice direct et certain présentant un caractère de gravité de nature à lui ouvrir droit à réparation. En particulier, M6 n'établit pas la réalité des coûts ou du manque à gagner qu'aurait entraînés pour M6 l'abrogation, trois mois seulement avant la date initialement prévue, de sa licence analogique, alors que s'y est aussitôt substituée une licence en numérique".

Quatre ans de procédure

5 mars 2007: la loi sur la télévision du futur octroie une chaîne bonus sur la TNT à TF1, M6 et Canal Plus en échange de l'arrêt anticipé de leur diffusion en analogique

31 mars 2008 au 30 novembre 2011: extinction progressive de la diffusion en analogique.

29 février 2012: terme prévu de la licence de diffusion en analogique de TF1.

15 avril 2012: terme prévu de la licence de diffusion en analogique de M6.

18 octobre 2012: M6 réclame 90 millions d'euros d'indemnisation à Matignon qui ne répond pas.

19 février 2013: M6 réclame 98,77 millions d'euros devant le Conseil d'État

15 novembre 2013: la loi sur l'audiovisuel abroge les trois chaînes bonus

20 décembre 2013: TF1 réclame 230 millions d'euros d'indemnisation à Matignon qui ne répond pas.

18 avril 2014: TF1 réclame 230 millions d'euros devant le tribunal administratif de Paris

22 octobre 2014: le Conseil d'État déboute M6

29 janvier 2015: le tribunal administratif déboute TF1, qui fait appel

31 octobre 2016: la cour administrative d'appel déboute TF1

Jamal Henni et Simon Tenenbaum