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La vérité sur l'argent public dans le cinéma français

Les généreux cachets de Dany Boon ont déclenché une polémique

Les généreux cachets de Dany Boon ont déclenché une polémique - -

Attaquée sur ses gros cachets, beaucoup de professionnels affirment qu'il n'y aucun argent public dans le financement du 7ème Art. Une affirmation plus que contestable...

Le 28 décembre, le producteur Vincent Maraval (Wild Bunch) dénonçait les salaires trop élevés des acteurs français, financés par "de l'argent public". Depuis, beaucoup de professionnels de la profession assurent qu'il n'y a aucun argent public dans le financement du cinéma français.

En face, les détracteurs du système français l'accusent d'être hautement subventionné. Les producteurs de musique ont même avancé le chiffre de 51% de subventions!

La vérité est entre les deux, mais difficile à établir. En effet, les moult subventions dont bénéfice le 7ème Art sont souvent indirectes, et en général ont un statut hybride difficile à comprendre. Revue de détail.

1/ L'argent du CNC

Chaque année, le Centre national du cinéma distribue d'importantes subventions (309 millions d'euros selon le bilan du CNC) au 7ème Art. Est-ce de l'argent public ou pas? Pour trancher la question, étudions d'où vient cet argent.
Le 3 janvier, le président du CNC Eric Garandeau assurait sur France Inter: "c'est de l'argent prélevé sur la distribution et recyclé dans la production. Cet argent provient des acteurs du marché. On prélève sur le secteur cinématographique et audiovisuel, et on redistribue sur le secteur cinématographique et audiovisuel". Même son de cloche chez le réalisateur Robert Guediguian, qui explique que cet argent provient d'une taxe prélevée sur les tickets de cinéma.

C'est historiquement vrai. Le CNC est bien financé par une taxe sur les entrées en salles, instaurée en 1948. Mais aujourd'hui, cette taxe ne représente plus qu'une toute petite part des recettes du CNC (18%). En effet, bien d'autres taxes ont été instaurées depuis, qui représentent désormais l'essentiel des ressources. D'abord, en 1986, une taxe sur les chaînes de télévision. Puis en 2007, une taxe sur les opérateurs télécoms, qui sont devenus depuis les principaux contributeurs au budget du CNC.

Les opérateurs télécoms font-il partie du secteur audiovisuel? C'est ce qu'affirme le CNC pour justifier leur taxation, mais les intéressés eux-mêmes le contestent. En tous cas, les opérateurs télécoms ne bénéficent en retour d'aucune redistribution du CNC, comme le prétend le président du CNC.

Reste à savoir si c'est de l'argent public ou non. Le réalisateur Robert Guediguian et le producteur Thomas Langmann assurent que non, ce qui leur permet d'affirmer qu'il y a donc zéro argent public dans le cinéma français. Le président du CNC Eric Garandeau essaie d'être nuancé: "c'est de l'argent public, mais pas de l'argent du contribuable". Pour sa part, le directeur général de la société d'auteurs SACD Pascal Rogard admet sans détours: "oui, ce sont des aides publiques, des aides qui ne viennent pas du budget de l’Etat, mais résultent de taxes parafiscales". Enfin, en droit européen, il n'y a pas de doute: la Commission européenne estime qu'il s'agit d'"aides d'Etat", qui doivent donc recevoir son feu vert.

2/ L'argent des chaînes de télévision

La réglementation impose aux chaînes de télévision de verser de l'argent au CNC, mais surtout d'investir directement dans la production de films. L'obligation varie selon les chaînes: cela va de 3,2% du chiffre d'affaires pour TF1 ou M6, à 12,5% pour Canal Plus. Au total, cela représente 451 millions d'euros, soit un tiers du financement du cinéma français.

Certains, comme les producteurs de musique, considèrent que cet argent, puisqu'il s'agit d'une obligation légale, constitue bien une aide. D'autres rappellent qu'en échange de cette obligation, l'Etat a accordé gratuitement des fréquences hertziennes aux chaînes de télévision.

Mais le président du CNC Eric Garandeau estime que "c'est de l'argent privé". De même, en droit européen, la Commission, interrogée par TF1, a estimé qu'il ne s'agissait pas d'une aide d'Etat, décision confirmée en appel.

Les professionnels de la profession comme Pascal Rogard ajoutent qu'en contrepartie de cette obligation, les chaînes sont co-productrices des films où elles mettent de l'argent, et donc intéressées aux profits éventuels. Néanmoins, lorsqu'un film fait des bénéfices, les co-producteurs, notamment les chaînes, ne sont servis qu'après le producteur délégué.

Surtout, la co-production ne représente qu'une toute petite partie (13%) de l'argent des chaînes. L'essentiel (87%) est investi dans le simple achat de droits de diffusion du film à l'antenne. Explication: la réglementation impose que la majorité de l'argent des chaînes soit investi en achat de droits de diffusion, et même la totalité pour Canal Plus.

Toutefois, une partie de l'argent des chaînes (78 millions d'euros) provient des chaînes publiques France Télévisions et Arte, et peut donc être considéré comme de l'argent public.

3/ Les intermittents

Une bonne partie du personnel employé par le 7ème Art -des stars aux petites mains- a le statut d'intermittent du spectacle. Un rapport réalisé pour le Sénat affirmait que les deux tiers des salariés du secteur avaient ce statut. Selon la Cour des comptes, le cinéma et l'audiovisuel représentent au total 32% des intermittents, soit 27 000 personnes.

Or le régime des intermittents est lourdement déficitaire: il perd un milliard d'euros par an, soit environ un tiers du déficit total de l'assurance chômage. Toujours selon la Cour des comptes, le cinéma et l'audiovisuel représentent à eux seuls un tiers de ce déficit: 330 millions d'euros en 2010.

Rappelons que ce déficit est financé par les cotisations chômage de toutes les entreprises et salariés du pays, tous secteurs confondus.

4/ Les niches fiscales

Le 7ème Art bénéficie aussi de moult niches fiscales, qui sont autant de recettes en moins pour l'Etat. La principale est la TVA réduite (7%) appliquée sur les tickets de cinéma, qui se traduit par 320 millions d'euros de rentrées en moins pour l'Etat. Elle va toutefois passer à 10% début 2014.

Autre niche fiscale: les Sofica, qui coûtent 28 millions d'euros aux finances publiques, et qui permettent aux particuliers de déduire de leurs impôts l'investissement dans un film.

Le 7ème Art bénéfice aussi de deux crédits d'impôts pour le tournage de films: l'un pour les films français (57 millions d'euros), l'autre pour les films étrangers (7,7 millions d'euros). Depuis, leur montant a été augmenté par le Parlement en décembre.

En droit européen, la Commission européenne a considéré que les crédits d'impôts étaient des aides d'Etat, et "n'a pas exclu" que les Soficas en soient aussi.

NB: tous les chiffres portent sur l'année 2011 sauf indication contraire

Le titre de l'encadré ici

|||Une industrie subventionnée à au moins 23%

Le président du CNC Eric Garandeau martèle que les aides du CNC à la production ne représentent que 110 millions d'euros par an, soit 8% de l'argent investi dans la production de films (1,4 milliard d'euros). "On est loin d’une économie administrée", conclut-il.

Une affirmation suprenante au premier abord. En effet, les études montrent que 83% à 88% des films français sont déficitaires. Pour qu'une industrie survive à de pareilles pertes, il faut nécessairement qu'elle soit fortement subventionnée...

En réalité, le calcul du CNC ne tient pas compte des aides régionales. Ces aides s'élèvent à 38 millions d'euros, si l'on inclut les aides à la production, aux tournages, à l'écriture et au développement, indique le bilan du CNC.

De leur côté, les Sofica apportent 36,4 millions d'euros. Si l'on ajoute à cela les crédits d'impôts pour les tournages de films français (57 millions d'euros) et l'argent investi par les chaînes publiques (78 millions d'euros), on atteint 320 millions d'euros, soit un taux d'aide publique de près de 23%. Si l'on inclut la totalité de l'argent investi par les chaînes de télévision y compris privées, comme le font les producteurs de disques, on dépasse les 50%.

Et encore, ces calculs ne tient compte ni des intermittents, ni du crédit d'impôt international, ni des aides versées par le CNC aux salles, aux distributeurs, aux éditeurs de DVD et de vidéo-à-la-demande, aux industries techniques, aux festivals...

Jamal Henni