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Viols d’embargo: que font les États-Unis des 15 milliards d’amendes?

Les États-Unis ont glané plus de 14,9 milliards de dollars via les amendes infligées pour viol d'embargo.

Les États-Unis ont glané plus de 14,9 milliards de dollars via les amendes infligées pour viol d'embargo. - Petrusbabygere- Flickr - CC

Les principales sanctions infligées aux banques européennes pour avoir violé ou contourné les embargos sur l'Iran ou Cuba ont rapporté près de 15 milliards de dollars aux autorités américaines, selon nos calculs. Une manne qui alimente directement le budget fédéral.

Les États-Unis ont la main de plus en plus lourde. Depuis 2009, une dizaine de grandes banques ont payé des centaines de millions de dollars pour avoir violé ou cherché à contourner les embargos mis en place par Washington sur plusieurs pays (Iran, Syrie, Soudan, Cuba, Birmanie…).

Évidemment, l'amende qui a le plus fait couler d'encre reste celle de BNP Paribas qui, en juin, 2014, a dû payer près de 9 milliards de dollars. Mais ce n'est évidemment pas la seule: HSBC et le Crédit Agricole ont également payé un lourd tribut. Deutsche Bank a été la dernière en date, au début de cette semaine. Société Générale pourrait, elle, être la prochaine à passer à la caisse, des sources ayant indiqué à l'AFP que les discussions avec les autorités américaines étaient en cours. Il en est de même pour l'italienne Unicredit.

Au total, sur la base des principales condamnations, dont une partie est listée par l'entreprise Alacra, les autorités américaines ont pour le moment engrangé au moins 14,9 milliards de dollars, selon nos calculs, soit 129 dollars (119 euros) par ménage (au nombre de 115 millions, selon le gouvernement). 

Montant des amendes

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Les montants des amendes par établissement (en millions de dollars)

Une fois ce trésor de guerre amassé, toute la question est de savoir où l'argent va. Tout d'abord, "il faut rappeler que très souvent plusieurs agences poursuivent la banque en question. Il va ainsi y avoir des négociations entre ces agences pour se partager le montant total de l’amende, qui n’est pas forcément divisée équitablement", rappelle Christian Dragham, associé chez Norton Rose Fullbright.

On trouve ainsi de multiples intervenants dans les condamnations faites aux banques: la Fed (Réserve fédérale américaine), le département américain de la justice (DoJ) mais aussi l'OFAC, la branche du Trésor américain chargée de faire respecter les décisions américaines concernant notamment les embargos, le procureur de New York, etc…

Que font-elles ensuite? "L'argent qu'obtiennent les agences, comme l'OFAC, ou le DoJ, ne reste pas dans leur budget mais va au Trésor et donc au budget fédéral. Heureusement, car si les agences se finançaient grâce aux amendes, cela les inciterait à avoir la main lourde et pourrait biaiser les poursuites", répond Charles-Henri Boeringer, counsel chez Clifford Chance.

Une compétition entre les agences

Par ailleurs, "dans certains cas, l’idée a été évoquée qu’une partie des amendes puisse aller aux victimes des agissements des pays sous sanction. Ce qui est évidemment difficile à déterminer: par exemple, qui sont les victimes de l’État iranien?", ajoute Christian Dragham.

Ce dernier souligne également qu'une forme de compétition existe entre les agences pour savoir qui va obtenir l'amende la plus importante, même si elles ne gardent pas les fonds pour elles-mêmes. "Plus vous en avez, plus vous êtes puissants et plus votre budget pourrait être important, ce qui permet par exemple d’augmenter les ressources pour entamer de nouvelles poursuites", explique-t-il.

"Par ailleurs, il y a un aspect politique important. Les procureurs sont élus ou nommés par le gouverneur de l’état et ils ont ainsi envie de se mettre en avant. Ils veulent montrer qu’ils font le travail nécessaire, qu’ils poursuivent les personnes qui se sont mal comportées et qu’ils sont en train de ramener de l’argent", ajoute Christian Dragham.

De nombreux critères

Mais sur quoi se basent les autorités pour déterminer le montant de l'amende? Charles-Henri Boeringer liste une série de critères (voir encadré en fin d'article). 

Et, parmi eux, il y a l'épineuse question de la coopération qui a notamment plombé BNP Paribas et expliqué (du moins en partie) la lourdeur de l'amende versée par la banque tricolore. Car, aux Etats-Unis, le mot "coopération" prend un tout autre sens. "Les Etats-Unis ont un notion plus stricte de la coopération judiciaire. Là-bas, cela veut dire qu'on ouvre tous les livres et les ordinateurs. Les autorités américaines, en particulier, attendent ainsi une démarche proactive de la part des banques. Cela peut créer des tensions, disons culturelles, avec les banques étrangères et notamment françaises", explique Charles-Henri Boeringer.

D'autant plus qu'"une société française n'a pas la même culture de coopération avec les autorités judiciaires qu'une société anglo-saxonne", ajoute-t-il.

Un problème de légitimité?

Ces lourdes amendes sont-elles faciles à digérer pour les banques concernées? Le doute est largement permis. "Le comportement des autorités américaines peut agacer. Il y a ainsi des questionnements que je vois se diffuser, notamment sur la légitimité fondamentale de ces autorités à imposer des sanctions aussi lourdes en dehors de toute décision judiciaire", affirme Charles Henri Boeringer.

Avant de donner un exemple: "l'OFAC, si elle découvre des manquements aux règles en matière de sanctions internationales, va mener une enquête extrêmement approfondie puis conduire l'entité poursuivie à la table des négociations. S'engage alors une négociation déséquilibrée. La banque, ne pouvant prendre le risque d'être exclu du marché américain, dispose de peu de marge de manœuvre".

Et de conclure: "C'est problématique car ces autorités sont le bras armé d'une politique qui reste celle d'un pays, les États-Unis. Certaines transactions peuvent être autorisées en Europe (comme celles avec Cuba par exemple) et interdites par les États-Unis. On peut ainsi se demander pourquoi une banque européenne peut être condamnée aussi lourdement sur la base de transactions qui ne sont pas interdites sur son territoire".

Sur quoi se basent les autorités américaines pour déterminer la taille d'une amende?

En dehors de la coopération, les autorités américaines se basent sur de nombreux éléments pour déterminer la taille de l'amende. Tout d'abord "l'intentionnalité". En clair, "les autorités vont vérifier s'il y a eu intention délibérée de violer la loi ou s'il s'agit d'une simple négligence. Elles vont également voir les différents degrés d'intention, et se demander si le management était au courant", explique Charles-Henri Boeringer.

Ensuite, elles vont "examiner dans quelles mesures ces violations commises par les banques portent atteinte aux objectifs politiques poursuivis par les États-Unis". La taille de l'établissement joue aussi. "Il s'agit d'évaluer les caractéristiques de l'institution poursuivie: est-ce que la banque en question est un établissement important au niveau international ou s'agit-il d'une petite banque locale inconnue par exemple", précise Charles-Henri Boeringer.

De même, elles regardent "si la banque a mis en place un programme de conformité et vont évaluer sa robustesse. Ceci est de nature à diminuer l'amende, car ce programme témoigne, d'une certaine façon, de la bonne foi de la banque".

Vient ensuite tout ce qui concerne la réaction de l'établissement incriminé. "Elles prennent en compte la réaction de la société au moment où elle prend connaissance de la violation. Réagit-elle immédiatement pour mettre un terme à ces agissements, fait-elle des investigations en interne, met-elle en place un plan visant à corriger les manquements etc…", énumère Charles-Henri Boeringer.