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Votre tatouage ne vous appartient pas !

De plus en plus de tatoueurs font valoir leurs droits d'auteur sur leurs œuvres ornant la peau de célébrités. Aux États-Unis, mais aussi en France, stars et anonymes risquent des poursuites s'ils utilisent leur tatouage d'une manière qui déplaît à son créateur.

Il est gravé dans votre épiderme. Pourtant votre tatouage ne vous appartient pas tout à fait. Si l'utilisation que vous faites de son motif ne plaît pas à votre tatoueur, vous risquez un procès. Quand bien même il est "encré" sur votre peau, le tatouage reste une œuvre d'art, soumise à ce titre au droit d'auteur, raconte un spécialiste des questions de propriété intellectuelle dans un article de The Conversation. Et à mesure que le tatouage se démocratise, les affaires de justice à ce sujet se multiplient.

Modèle du genre, celle qui opposent actuellement des tatoueurs de joueurs de NBA, la ligue de basket américaine, aux éditeurs du jeu vidéo de basket NBA 2K. Les créateurs des tatouages de Kobe Bryant et Lebron James ont porté plainte devant le tribunal de New York. Objet du litige : leurs tatouages, créations originales des plaignants, sont reproduits sur les avatars des joueurs. Une utilisation commerciale de leur œuvre sur laquelle ils entendent toucher des droits d'auteurs. Le tribunal n'a pas encore jugé l'affaire.

Il y a tout lieu de penser que les tatoueurs obtiendront gain de cause. En 2011, dans un litige comparable, le tatoueur d'une autre star du sport, Mike Tyson, a conclu un avantageux arrangement financier avec le studio de production Warner. Dans le film "Very bad trip 2" un des personnages, passablement éméché, se faisait tatouer le même dessin tribal qui orne le visage du boxeur. Mais le studio n'avait demandé aucun accord préalable au tatoueur, qui porte plainte, avant d'accepter un chèque. 

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- © AFP

Dans ces deux affaires, ce sont les tatoueurs qui ont cherché à faire valoir leurs droits sur leur œuvre. Mais la situation inverse existe: un tatoué célèbre peut faire valoir devant les tribunaux que sa notoriété donne de la valeur à un tatouage. En 2005, le footballeur David Beckham a tout fait pour bloquer l'utilisation de l'œuvre d'un tatoueur: un ange aux ailes déployés gravés dans son dos. Ledit tatoueur avait cru pouvoir vendre les droits du motif à des hommes d'affaires japonais pour créer une ligne de vêtements. Le mari de Victoria Beckham s'y était opposé, proposant au tatoueur de racheter lui-même les droits sur cette oeuvre. Mais son offre fût jugée trop faible. Finalement, devant les menaces de poursuites du couple, le tatoueur renonce à la transaction avec les Japonais. Et en représailles, il menace David Beckham de poursuites si "son" tatouage est visible dans les campagnes de pub où il apparaît".

Ce genre de litiges ne concerne pas que les célébrités. À l'heure des réseaux sociaux, même les anonymes peuvent voir leurs libertés individuelles limitées par le droit d'auteur appliqué au tatouage. L'article de The conversation mentionne l'exemple de Sam Penix. Propriétaire d'un café new yorkais, il utilise sur sa vitrine un dessin de sa propre main sur laquelle figure son tatouage "I [symbole d'un mug de café] NY" (sur le modèle de "I ♥ NY"). Mais le département d'État de New York, propriétaire de la marque "I ♥ NY" menace d'attaquer Sam Penix pour violation de marque. Pour éviter le procès, il retire l'image de sa vitrine et accepte des restrictions sur la façon dont l'image de son poing peut, ou ne peut pas, être utilisée.

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- © m01229 - Flickr - CC

Alors certes, les États-Unis sont connus pour leur protection farouche de la propriété intellectuelle. Mais en France, le même risque judiciaire existe. Et l'attrait grandissant pour le tatouage (10% de la population française est tatouée, le double chez les 25-34 ans, selon un sondage Ifop de 2010), pourrait faire croître le nombre de litiges.

Pour le moment, le seul cas de jurisprudence connu en France concerne un tatouage de Johny Hallyday. Le rockeur s'est fait tatouer un aigle sur l'épaule, création originale de son tatoueur. Pour ses 50 ans, sa maison de disque sort une série de CD, DVD et vêtements illustrés du dessin. Sauf que le tatoueur avait déposé le dessin à l'Inpi. La justice française a donc fait la distinction entre "tatouage-dessin" et "tatouage-morceaux de peau": elle a interdit à la maison de disque d'utiliser le motif, mais l'a autorisé à utiliser une photo de Johnny sur laquelle on verrait son tattoo.

L'éthique du tatoueur, seule garantie 

D'ailleurs même si le tatoueur n'avait pas déposé son dessin, une pratique peu courante selon le syndicat national des artistes tatoueurs, la loi française lui aurait en principe donné raison. Le code de propriété intellectuelle prévoit en effet que des droits d'auteur protègent "toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination". Ainsi "l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété intellectuelle exclusif et opposable à tous".

Comme l'explique le site tatouagedoc.net, "en tant que créateur du dessin utilisé pour un tatouage, le tatoueur peut interdire toute reproduction sans son autorisation, et reste libre de reproduire le dessin sur des livres, disques, affiches, vêtement... voire même sur quelqu'un d'autre !". En somme, "seule l'éthique du tatoueur peut garantir au tatoué l'exclusivité de son tatouage".

Nina Godart
https://twitter.com/ninagodart Nina Godart Journaliste BFM Éco