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À quoi ressemblerait la "double monnaie" de Marine Le Pen?

Marine Le Pen veut en fait revenir à l'ECU de 1979 à 1995

Marine Le Pen veut en fait revenir à l'ECU de 1979 à 1995 - Joël Saget - AFP

La candidate du FN à l'élection présidentielle a précisé son projet sur l'avenir de l'euro. Elle souhaite la création de deux monnaies, une pour les entreprises, l'autre pour les particuliers. Marine Le Pen veut revenir au système monétaire européen en vigueur entre 1979 et 1999.

Le retour au franc est-il toujours la priorité du FN? Marine Le Pen a beau déclarer au Parisien que "l'euro est mort", elle paraît désormais prête à ne l'enterrer qu'à moitié: "Nous aurons une monnaie nationale comme tous les autres pays et nous aurons ensemble une monnaie commune" explique-t-elle, dans les colonnes du journal francilien.

Deux monnaies pour un seul pays? Invitée de BFM Business, Agnès Benassy-Quéré, professeure à la Paris School of Economics rappelle qu'il ne s'agirait pas d'une première dans le monde: "Avoir plusieurs monnaies ce n'est pas un scoop, on a connu plusieurs pays dans ce cas de figure. Et en général c'est mauvais signe. Par exemple, en Amérique latine, on a une monnaie nationale et, à côté, on utilise le dollar car c'est plus fiable. L'Équateur a même abandonné sa monnaie nationale pour le dollar".

Une monnaie "unité de compte"

Mais le Front national réfute la comparaison avec les pays d'Amérique latine. Joint par BFMBusiness.com, Jean-Richard Sulzer, conseiller économique du Front national et ancien professeur à Paris-Dauphine, explique ainsi que la monnaie commune pour les entreprises "serait non pas une monnaie de transaction mais une unité de compte, comme cela se faisait entre 1979 et 1999 avec l'ECU". 

Rappel historique: l'ECU (european currency unit), est l'ancêtre de l'euro. Cette monnaie virtuelle servait de référence aux différents pays européens. Leurs devises nationales avaient un taux pivot par rapport à cet ECU (exemple: en 1997, l'ECU valait 6,61 francs et 1,96 deutschemark), cours dont elle pouvait toutefois s'écarter de +/- 2,25%. L'idée de l'époque était de limiter les fluctuations monétaires entre les pays partageant cette devise commune et d'éviter ainsi une guerre des monnaies au sein de l'espace économique européen.

L'exemple danois

Pour le Front national, les entreprises pourraient ainsi commercer à l'international en minimisant le risque de change. Des sociétés de pays différents pourraient signer des contrats en utilisant non pas leur devise nationale mais cette monnaie commune. Même si, in fine, la commande passée à une entreprise française sera réglée en franc, les deux signataires du contrat sauront qu'entre la prise de commande et la livraison, il n'y aura pas de risque que le taux de change ait évolué de façon brutale.

"Pendant 20 ans les entreprises pouvaient libeller leurs exportations et leurs contrats en ECU. En réalité, lors du dénouement de la transaction on regardait le taux de change ECU contre franc, et la transaction était réglée dans la monnaie nationale", rappelle Jean-Richard Sulzer.

Autrement dit, aussi bien les particuliers que les entreprises utiliseraient, donc, le franc comme monnaie pour effectuer leurs paiements. "Ce que nous demandons c'est le statut de la couronne danoise", poursuit Jean-Richard Sulzer. La devise scandinave fait en effet partie du MCE II (mécanisme de change européen) qui, en gros, permet à sa monnaie nationale de fluctuer autour de l'euro dans une fourchette de +/- 15% par rapport à un cours de référence: "Nous proposons que tout le monde en Europe puisse adopter le statut du Danemark pour avoir une monnaie plus flexible et sortir de cette camisole de force qu'est l'euro", confirme Bernard Monot, l'autre grand stratège économique du Front national.

Le "tunnel" monétaire

Ce dernier précise que la fourchette de variation sera négociée au niveau européen. Mais elle devrait être plus restreinte que celle du Danemark. Dans ce cas de figure la France devra se débrouiller pour rester dans le "tunnel" autour du taux pivot, avec une marge de manœuvre limitée, donc.

Mais à ce moment-là peut-on vraiment parler de souveraineté monétaire? "Oui, répond Jean-Richard Sulzer, puisqu'un pays conserve la possibilité de dévaluer ou réévaluer unilatéralement le taux pivot. La France l'avait derrière fait à trois reprises avec l'ECU". L'économiste du FN faisant référence aux précédents de 1981, 1982 et 1986.

Le problème est que plus les dévaluations se multiplient, plus elles remettent en cause la crédibilité du mécanisme. "Ce système n'a pas marché. Il a eu des limites importantes avec des dévaluations en continu", juge à ce propos l'économiste Christian Saint-Etienne, spécialiste des questions monétaires, conseiller de Paris UDI et professeur au CNAM.

"Remettre un enfant dans le ventre de la mère"

Autre limite soulevée par ce dernier, le projet européen du FN nécessite de convaincre nos voisins de suivre notre exemple. Or "on sait déjà qu'ils diront non, car cela revient à revenir en arrière, à remettre un enfant dans le ventre de sa mère", juge-t-il.

Il faudra aussi que le Front national convainque les Français de l'intérêt de ce retour en arrière. Car toutes les négociations passées avec l'Europe seront soumises à référendum. "On ne fera rien contre l'avis des Français", assure Bernard Monot. D'où, sans doute, les débats internes au FN sur le calendrier de mise en oeuvre de cette double monnaie.