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Barème Macron: pourquoi la cour d'appel de Reims s'entête

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Photo d'illustration - AFP

L'arrêt rendu mercredi valide le barème qui encadre les indemnités prud'homales mais ouvre aussi la porte à des contestations au cas par cas. Mais la réticence de la cour d'appel à une application systématique pourrait être déjugée après un probable pourvoi en cassation.

Les juges font de la résistance. Ce mercredi, deux décisions importantes devaient être rendues concernant le fameux barème Macron, ce texte du code du Travail qui encadre les indemnités prud'homales. Si la décision de la cour d'appel de Paris a finalement été reportée au 30 octobre, la cour d'appel de Reims a quant à elle bien rendu son arrêt sur le cas d'une salariée qui contestait l'application de ce barème, dans le cadre de son licenciement.

La décision était d'autant plus attendue que c'est la première prononcée par une cour d'appel depuis que la cour de cassation s'est exprimée sur ce sujet, il y a trois mois. Que faut-il retenir de la décision rémoise ? Des subtilités juridiques qui ressemblent fort à un pied-de-nez à la Cour de cassation.

Le cas personnel en question

Pour rappel, cette dernière s'était réunie en formation plénière pour se positionner sur la conventionnalité du barème à des textes internationaux. En l'occurrence, la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire s'était montrée unanime: le barème est, soit compatible avec les textes concernés, soit il n'entre pas dans leur champ d'application. En résumé, la cour de cassation validait ainsi son utilisation. "Et elle lui avait donné une portée particulière en se réunissant en formation plénière et en assurant une publicité maximale" souligne Zoé Rival, avocate au cabinet August Debouzy.

La cour d'appel de Reims est venue mettre son grain de sable. D'abord, elle valide le barème, qui reste conforme au droit international et donc pleinement applicable en France. Mais ensuite "il y a plusieurs points de divergence avec l'avis de la cour de cassation" souligne Zoé Rival. Le principal revient à contester la validité systématique du barème. Au-delà du contrôle de la conventionnalité in abstracto (c'est-à-dire de manière générale) de l'article du code du Travail, il faut regarder in concreto, c’est-à-dire par rapport à la situation particulière du salarié. Là est la subtilité: les juges pourraient contester le barème dans certains cas particuliers, en dehors des dérogations déjà énoncées dans la loi (qui comprennent les cas de harcèlement, de discrimination…). En clair, la cour d'appel indique que le barème n'est pas contestable en tant que tel... mais pourrait ne pas s'appliquer à certains cas particuliers.

Préjudice disproportionné

Pour s'autoriser ce glissement, les juges rémois divergent de la cour de cassation sur la compatibilité du barème avec l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail qui impose une "indemnité adéquate" pour le salarié licencié. La cour de cassation n'y a pas vu d'incompatibilité. La cour d'appel non plus, si ce n'est que le barème "est de nature à affecter les conditions d'exercices des droits consacrés."

Concrètement, l'appel ouvre la porte à une contestation possible pour chaque salarié afin de vérifier s'il existait un préjudice disproportionné pour le salarié lésé. Problème, la cour ne donne aucun critère pour juger de ce préjudice. Age du salarié au moment du licenciement ? Difficulté à retrouver un emploi ? Dépression provoquée par la perte du travail ? "Ce sont des éléments qui sont, de toute façon, déjà pris en compte par le juge lorsqu'il va évaluer le préjudice" précise Arnaud Teissier avocat associé chez Capstan Avocats. "Même dans le barème puisque c'est une fourchette."

"Les juges tentent un coup"

Une chose est sûre, pour les entreprises, qui estimaient que ce barème permettait d'en finir avec l'insécurité juridique, le compte n'y est donc toujours pas. "C'est une décision qui est étonnante mais qui est aussi plutôt maligne" commente Arnaud Teissier. "C'est une fronde maligne car elle ne dit pas que la cour de cassation a tort. Elle ouvre seulement une petite brèche. Et de cette façon, les jugent tentent un coup." Espérant peut-être que la cassation revoit son avis.

En réalité, ce n'est que partie remise: l'arrêt ira sans aucun doute en cour de cassation pour une décision ferme et non pas seulement un avis. Difficile de croire alors que la cassation se déjuge et finisse par renier son avis. Cet appel, même s'il est repris par d'autres cour d'appel, a donc de grandes chances de devenir caduc à terme.

Thomas Leroy