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Cette start-up utilise du bioplastique, et se retrouve doublement "taxée"

Les bouteilles en PLA pâtissent d'un malus de 100% de l'éco-contribution.

Les bouteilles en PLA pâtissent d'un malus de 100% de l'éco-contribution. - Yumi

Un fabricant français de jus de légumes a choisi d'utiliser des bouteilles végétales qui peuvent être compostées. Une démarche écologique que l'État pénalise, exigeant de la PME une contribution financière deux fois plus importante que celle qui frappe le plastique classique. Explications.

En France, les industriels français qui optent pour un emballage alternatif au plastique, totalement biodégradable et compostable, sont "surtaxés à 100%" par l'État. C'est la situation ubuesque sur laquelle alerte Yumi, une start-up qui fabrique des jus de légumes née il y a quatre ans.

Il y a quelques mois, elle décide de conditionner ses jus dans des bouteilles en "bioplastique", conçu à base de canne à sucre, qui se composte: du PLA. Un conditionnement onéreux, 70% plus cher que le plastique. Elle décide d'investir, parce que c'est cohérent avec son engagement écologique et les attentes de ses clients. Ce qu'elle ne sait pas, c'est que ça va lui coûter bien plus cher que prévu.

Comme toutes les entreprises qui mettent sur le marché français des produits générant des déchets, Yumi doit verser une éco-contribution. Ses recettes servent en principe à financer leur collecte et leur recyclage. Cette éco-participation, mise en place par le Grenelle de l'Environnement, est collectée par une entreprise privée qui a reçu pour cela l'agrément de l'État: Citéo (anciennement Eco-Emballage).

7,5 centimes de plus par bouteille

En janvier, Yumi reçoit un coup de téléphone de Citeo. On l'informe que son éco-contribution va désormais pâtir d'un malus de 100% de son montant parce que sa bouteille végétale et compostable est un "perturbateur de recyclage". Concrètement, la PME, à qui la bouteille en plastique coûtait 10 centimes, puis 0,5 centimes d'éco-contribution, paie 17 centimes sa bouteille écologique, et va devoir verser le double à Citéo : 1 centime par bouteille.

Un malus sur de l'emballage biodégradable, mais pas sur le plastique qui forme un septième continent sous les mers? Alors que la France est engagée dans la Transition énergétique? Yumi croit à l'erreur, et demande des éclaircissements à Citéo. Le collecteur de l'éco-contribution confirme: "il y a un malus sur tous les déchets qui n'ont pas de filière de recyclage en France", indique Antoine Robichon, directeur stratégie et clients chez Citeo.

C'est le cas pour le bioplastique compostable: Il n'existe aucun moyen de le collecter autre que la poubelle jaune, dont le contenu va vers des usines de retraitement qui ne sont pas équipées pour composter des déchets. De fait, dans l'Hexagone, il n'existe aucun site industriel de compostage, où les bouteilles de Yumi pourraient se désagréger en un à six mois et enrichir les sols.

La filière recyclage française s'est en effet construite à toute vitesse dans les années 90 et s'est focalisée sur le retraitement d'un plastique particulier: le PET. Parce qu'à ce moment-là, la majorité des industriels troquaient les bouteilles en PVC très polluant contre cet autre plastique.

700 millions d'euros de recettes

Parmi ces géants, Lactalis, Nestlé, Evian, Coca, Kronembourg, qui siègent tous au conseil d'administration de Citéo. "Notre pacte de gouvernance prévoit que nos administrateurs soient ceux qui paient la plus forte contribution à Citeo, donc ceux qui mettent les plus gros volumes d'emballage sur le marché", explique le directeur.

Aucune TPE ou PME, souvent innovantes en matière de déchets, ne participe à la prise de décision chez Citéo. Ni même de groupes plus grands comme le géant du bio Lea Nature aux près de 300 millions d'euros de ventes en France. La Maison-mère de Jardin Bio qui a d'ailleurs renoncé aux bioplastiques notamment à cause de ce malus de 100%: "payer plus cher pour nos emballages alors qu'ils ne finiraient même pas compostés, ça n'a pas de sens", explique sa porte-parole.

Citeo, de son côté, met en avant qu'une petite fabricante de pain d'épices est en train d'être cooptée au conseil. Et elle précise que certes, elle participe avec les industriels, les recycleurs, les associations et les distributeurs aux discussions annuelles sur l'attribution de bonus et de malus à tel ou tel matériau. "Mais c'est l'État qui tranche" explique le directeur.

Sa mission de service public ne lui donne pas plus de pouvoir sur l'emploi des 700 millions d'euros que rapportent chaque année l'éco-contribution. Citeo se borne à les reverser aux collectivités locales, censées financer avec le recyclage sur leur territoire. Selon une clé de répartition là-encore décidée par le gouvernement. "Ce sont des négociations de gros sous, avec des enjeux politiques, dont nous préférerions nous passer", souligne Antoine Robichon.

Donner des poules à chaque Français

Pour en revenir à Yumi, l'entreprise a réfléchi à se passer de Citeo. Mais c'est la seule en France à bénéficier de l'agrément de l'État pour récupérer l'eco-contribution. L’administration vient d'ailleurs de le lui renouveler pour cinq ans. Yumi pourrait encore "mettre en place son propre système de récupération de ses déchets et de recyclage" indique le ministère de la Transition écologique. Aucune entreprise de l'agro-alimentaire, pas même les géants Nespresso et Leclerc qui l'ont un temps envisagé, ne sont parvenus à le faire en France. Reste l'option d'envoyer ses bouteilles en Allemagne, où la filière de compostage industrielle est très développée, "ce qui n'aurait aucun sens terme d'environnement", conclut le patron de la PME.

Au-delà du cas de Yumi, la loi sur la Transition énergétique prévoit qu'en 2025, plus aucun déchet organique et/ou biodégradable ne finisse enfoui ou incinéré. Depuis huit mois, le ministère a mis au travail les parties concernées pour écrire une feuille de route qui aborde notamment ce sujet. Elle sera "probablement" publiée la semaine prochaine, mais il semble déjà que le compte n'y soit pas. "On peut donner des lombricomposteurs et des poules à chaque Français, mais traiter 350 millions de tonnes de déchets par an, c'est vraiment un sujet industriel", a déploré le président de la Fédération des industriels de l’environnement, qui a participé aux négociations durant huit mois, dans l'Usine Nouvelle.

Un député UDI, Thierry Benoît, a de son côté déposé la semaine dernière une question écrite à Nicolas Hulot sur ce malus de 100% sur le PLA. Ses services n'ont pas encore répondu de manière officielle. Mais on lui a signifié que "c'est compliqué, on ne peut pas changer les choses si facilement".

Nina Godart
https://twitter.com/ninagodart Nina Godart Journaliste BFM Éco