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Finances publiques

Edouard Philippe va relancer la machine à cash du tabac

Le Premier ministre a annoncé que le paquet de cigarettes atteindrait 10 euros pendant le quinquennat Macron.

Le Premier ministre a annoncé que le paquet de cigarettes atteindrait 10 euros pendant le quinquennat Macron. - Fabien1309 - WikimediaCommons

Le Premier ministre a annoncé une hausse du prix du paquet de cigarettes à 10 euros, mesure qui devrait rapporter plus de 5 milliards d’euros à l’État. Une méthode bien rodée par le passé.

Le Premier ministre reprend les bonnes vieilles méthodes de politique de santé publique. Souhaitant lutter contre "la première cause de mortalité évitable qui entraîne plus de 80.000 décès par an", Edouard Philippe a annoncé mardi vouloir "porter progressivement le prix du paquet de cigarettes à 10 euros" contre 7 euros aujourd’hui. En moyenne, cela reviendrait à procéder à deux hausses de prix de 30 centimes par an pour atteindre 3 euros à fin 2022.

Avec un paquet à 10 euros, l’État devrait engranger environ 5,5 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires en année pleine. En théorie, la baisse de consommation provoquée par la hausse de prix devrait réduire ce surplus de taxe. Mais la méthode proposée par Edouard Philippe devrait justement permettre de maximiser les recettes fiscales tout en limitant la baisse de consommation, néfaste pour le "rendement" de la mesure.

Les spécialistes du tabac, (l'épidémiologiste Catherine Hill, l'économiste de la santé Christian Ben Lakhdar…) expliquent que la hausse des prix du tabac n’est efficace sur la consommation que si elle est forte et répétitive. À l’inverse, si les hausses de prix sont faibles, les fumeurs l’absorbent sans pour autant diminuer leur consommation. C’est pourtant cette solution que préconise Edouard Philippe en augmentant "progressivement" les prix. Ces deux méthodes ont été testées par le passé et ont démontré leurs effets.

Plan cancer de Chirac

En 2003, le président Jacques Chirac lance le plan Cancer et augmente le prix des cigarettes de 11% (40 centimes) puis à nouveau de 25% (1 euro) en 2004. Il s’en est suivi une baisse de la consommation de tabac de 4,6 à 3,9 cigarettes par jour et par fumeur en seulement deux ans, en prenant en compte qu’une partie des achats s’est détourné vers l’étranger. Aujourd’hui, 20% des achats se font en dehors du réseau des buralistes. Entre 2005 et 2007, le gouvernement a ensuite gelé les prix pour calmer la grogne des buralistes et la consommation a stagné à 3,7 cigarettes par jour et par fumeur.

En 2008, Bercy a entrepris une stratégie de hausses de prix faibles et progressives qui a permis à l’Etat de faire exploser les recettes fiscales du tabac. Elles ont ainsi augmenté de 12 à 14 milliards d’euros entre 2008 et 2013 sous l’effet de hausses annuelles, voire biannuelles de 20, 30 ou 40 centimes. Mais jamais plus pour ne pas « casser » la consommation qui n’a d’ailleurs que très légèrement baissé à 3,5 cigarettes par jour et par personne. En cinq ans, les prix ont ainsi augmenté de 40%, passant progressivement de 5 euros à 7 euros. Edouard Philippe veut reproduire cette évolution, au même rythme, en augmentant les prix de 7 euros à 10 euros, soit une hausse similaire de 40%.

Une équipe de connaisseurs

Ce système astucieux n’est pas non plus une martingale. À force d’augmenter les prix, la machine s’est grippée. Ce fut le cas en 2014 quand, après deux hausses successives en 2013, la consommation a baissé d’un coup à 3,2 cigarettes par jour. Et par conséquent, les recettes fiscales ont baissé de 200 millions d’euros cette année-là, encourageant l’État à stopper l’hémorragie. Le prix a ainsi été gelé depuis 2014 et n’a toujours pas évolué. Preuve que le mécanisme est systématique: en 2015, la consommation est repartie à la hausse de 1% et les recettes fiscales ont augmenté de 250 millions d’euros.

Edouard Philippe pourra compter sur son conseiller fiscal à Matignon, Laurent Martel, qui occupait les mêmes fonctions au ministère du Budget sous Jérôme Cahuzac, puis Bernard Cazeneuve, en 2012 et 2013. Il avait notamment en charge le pilotage de la fiscalité du tabac et connaît parfaitement ces sujets. Le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin pourra aussi s’appuyer sur son directeur de cabinet, Jérôme Fournel, qui a dirigé l’administration des Douanes de 2007 à 2013. C’est lui qui a mis en musique la stratégie de hausse progressive des prix pendant cinq ans qui a tant rapporté au budget de l’État. Un duo de choc qui se connaît et aura à cœur de reproduire cette lucrative politique d’optimisation fiscale grâce aux hausses des prix du tabac.

Matthieu Pechberty