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"Les femmes ont davantage besoin de se sentir légitimes"

Les professeurs peuvent parfois, sans s'en rendre compte, reproduire des stéréotypes de genre en classe.

Les professeurs peuvent parfois, sans s'en rendre compte, reproduire des stéréotypes de genre en classe. - Jeff Pachoud - AFP

Les inégalités dans le monde du travail découlent bien souvent de stéréotypes qui se reproduisent dès l'éducation et au moment de l'orientation des élèves. Une réalité que dénonce Véronique Slovacek-Chauveau, vice-présidente de l'association Femmes et mathématiques.

L'association Femmes et mathématiques a été créée en 1985. A l'époque, elle avait pour but d'attirer l'attention sur le manque de mixité des ENS. Aujourd'hui, elle continue de se battre afin de permettre à davantage de jeunes filles de choisir des études scientifiques.

Interventions en classe, mise en valeur de modèles... L'association lutte contre la "menace du stéréotype", qui a aussi de réelles conséquences sur le monde du travail. La vice-présidente de Femmes et mathématiques, Véronique Slovacek-Chauveau, a accepté de répondre aux questions de BFMBusiness.com. 

Quels sont les problèmes que votre association a ciblé?

Véronique Slovacek-Chauveau: Le principe des concours défavorise les femmes. Les écrits sont discriminants car elles veulent faire les choses dans l'ordre et bien. Seulement, dans un concours comme celui de l'ENS, les difficultés arrivent dès le premier exercice. La stratégie qui fonctionne est celle de la "chasse aux points". Il y a un autre problème: les filles sont moins nombreuses à s'inscrire en classe préparatoire scientifique.

Pourquoi?

Chaque année, les statistiques le montrent, les filles et les garçons font des choix différents. Par exemple, à niveau égal, les filles vont deux fois moins en classe prépa que les garçons. Cela se ressent aussi dans l'orientation en classe de seconde. A niveau égal, les filles choisissent moins la filière S. On peut dire que les filles exigent d'elles-mêmes davantage de choses que les garçons avant de se sentir capable de réussir.

Quelles solutions proposez-vous?

La solution est l'éducation. Cela commence dans les familles, qui n'ont pas les mêmes exigences selon le sexe des enfants. Les filles sont par exemple habillées comme des poupées avant d'aller à l'école, ce qui les empêche de faire les mêmes choses que les garçons dans l'espace public. On les pousse à toujours être attentives aux autres. A l'école maternelle et en primaire aussi, les stéréotypes se perpétuent, notamment par le biais des enseignants. C'est parfois dur à accepter car cela va à l'encontre de nos idéaux (Véronique Slovacek-Chauveau est elle-même prof de maths dans un lycée, ndlr), mais les professeurs peuvent, de façon inconsciente reproduire des inégalités.

Quelles sont les conséquences de cette perpétuation des stéréotypes?

Les psychosociologues qui travaillent à l'université avec des étudiants en recherche d'emploi témoignent d'un fait étonnant: sur une fiche de poste, une fille va postuler si elle pense avoir huit compétences nécessaires sur dix. Les garçons, eux, se contentent de deux compétences. Les femmes ont donc davantage besoin de se sentir légitimes.

Dans le monde du travail, les femmes sont cantonnées sur 12 catégories socioprofessionnelles sur 85, qui sont les moins valorisées et les moins valorisantes. En cette période de chômage, il est dommage qu'une moitié de la population n'a pas accès aux postes qui sont intéressants. Et quand les entreprises veulent promouvoir la diversité, quand elles recherchent des femmes ingénieurs, des techniciennes en informatique, il n'y a pas suffisamment de candidates sur le marché du travail. 

Concrètement, comment ces stéréotypes agissent-ils?

Aux Etats-Unis, on parle de "menace du stéréotype", un concept de Claude Steele, étudié à propos des différences entre les Noirs et les Blancs. Dans certains contextes et à niveau égal, le stéréotype peut se réactiver. Ainsi, une fille, même brillantissime en maths, peut y faire face lors d'un concours. Si elle tombe sur une difficulté, elle va se dire inconsciemment " cette idée selon laquelle les femmes sont moins douées que les hommes est peut-être vrai et c'est pour ça que je n'y arrive pas".

Ainsi, une étude a pris quatre groupes de même niveau. Avant un exercice, les chercheurs ont dit oralement au premier que les femmes allaient avoir des difficultés. Au deuxième, ils l'ont écrit sur l'énonce de l'exercice. Au troisième ils n'ont rien dit. Au quatrième, ils ont dit aux filles de ne pas se laisser impressionner. Résultat, le plus gros taux d'échec féminin est dans le premier groupe, le plus faible dans le quatrième. Il semble donc qu'il ne faudrait pas beaucoup de choses pour se prémunir contre ce genre de phénomènes. 

Maxence Kagni