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Crise agricole: mais pourquoi le prix des terres continue à flamber?

A 5.910 euros en moyenne l'hectare, le prix des terres agricoles a augmenté de 60% en France depuis 1997 et ce malgré la baisse de revenu des agriculteurs.

A 5.910 euros en moyenne l'hectare, le prix des terres agricoles a augmenté de 60% en France depuis 1997 et ce malgré la baisse de revenu des agriculteurs. - Pexels

Alors que la crise frappe durement le monde agricole, le prix des terres, lui, a augmenté de près de 60% en 20 ans. Un phénomène illogique? Pas tant que ça. Explications.

Hausse du coût du travail, chutes des prix et des revenus, l'agriculture française connait une crise sans précédent. En 40 ans, le nombre d'exploitations a ainsi été divisé par trois. De 1,5 million au milieu des années 1970, elles ne sont plus que 491.000 aujourd'hui. La rentabilité à l'hectare a, elle, chuté de plus de 40% depuis 1995 (avec de fortes fluctuations depuis la fin des années 2000).

Logiquement, on pourrait s'attendre à ce que le prix des terres suive la même courbe baissière. Normalement, lorsque un appareil productif rapporte moins, sa valeur diminue. Et globalement, la valeur des terrains agricoles a évolué, à des nuances près, de la même façon que l'excédent brut d'exploitation à l'hectare. Mais depuis la fin des années 90, ce n'est plus le cas. Entre 1995 et aujourd'hui, le prix des terres arables et des prairies (hors vigne) a cru de près de 60% alors que, dans le même temps, la rentabilité a baissé de 40%. Le prix moyen d'un hectare estimé par la Safer (Société d'aménagement foncier et d'établissement rural) était de 5.910 euros en 2014. Il faut aujourd'hui en moyenne huit années d'exploitation à un agriculteur pour se payer un hectare contre cinq ans au début des années 2000. 

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Pourquoi un tel décalage? Si plusieurs raisons entrent en jeu, la principale est d'ordre macro-économique. Un terrain agricole -à la différence d'une usine par exemple- n'est pas une ressource infinie. Il y a un nombre limité de terrains, nombre qui décroit d'ailleurs avec le changement des Plans locaux d'urbanisme. Sous la pression immobilière, des terres qui étaient agricoles deviennent constructibles. Chaque année, entre 50.000 et 80.000 hectares changent de statut et sont voués à l'urbanisation.

"Le même phénomène que dans l'immobilier urbain"

"Surtout, le prix de la terre est lié à deux fondamentaux économiques: l'excédent brut d'exploitation à l'hectare (dans lequel on inclut les aides) et les taux d'intérêt réels, explique Robert Levesque, le responsable des études à la Fédération nationale des Safer. Or, de 1995 à aujourd'hui, on a une baisse très forte des taux d'intérêt réel. Ils ont été divisés par 10 sur la période." Résultat: l'argent est moins cher, ce qui soutient la demande. C'est exactement le même phénomène que dans l'immobilier urbain où les prix ont flambé dans les années 2000. 

A une différence près cependant. Depuis le début de la crise en 2008, les revenus des Français ont baissé et le prix de la pierre a suivi. Et ce malgré des taux d'intérêt historiquement bas. Mais ce n'est pas le cas dans le monde agricole.

C'est qu'ici d'autres éléments entrent en jeu. Comme les retraites. A l'instar des plaques pour les taxis ou le fonds pour les commerçants, les terres constituent un capital pour les exploitants dont le système de retraite ne leur permet pas de bénéficier de pensions très conséquentes. Résultat: ils ne veulent pas brader. Leurs terres, c'est un peu leur retraite par capitalisation. Cela a toujours été le cas dans le secteur mais cela s'est accentué avec la crise du monde agricole.

Le jackpot du PLU

Ce nécessaire complément de retraite n'explique néanmoins pas tout. Il y a aussi pas mal de spéculation sur les terres agricoles. Alors que le prix des terrains à construire a explosé depuis 15 ans, certains investisseurs rachètent des terres dans l'espoir d'une évolution du Plan local d'urbanisme (PLU). Et lorsque ça arrive c'est le jackpot. Le m² constructible est en moyenne à 141 euros en France en 2015, soit 1,4 million d'euro l'hectare. Contre 5.900 pour l'hectare agricole... "C'est un phénomène qui existe mais qui est surtout vrai dans les régions littorales et les périphéries des grandes villes", tempère Robert Levesque.

Ce qui s'observe au niveau plus global en revanche, c'est celui de l'essor d'un exode urbain. Un retour à la terre pas si anecdotique puisqu'il concernerait aux alentours de 110.000 personnes par an, selon le démographe Pierre Merlin. "Nous nous retrouvons en concurrence avec des néo-ruraux, souvent d'anciens cadres qui décident de changer de vie, observe Antoine Bonfillon, exploitant agricole dans les Bouches-du-Rhône. Avant, quand on achetait une exploitation c'était pour les terres et on se moquait du bâtiment qu'il y avait dessus, aujourd'hui c'est le contraire."

"La banque me voit comme un investisseur..."

Or, ces néo-ruraux, habitués aux prix de l'immobilier des grandes villes, ont d'avantage de moyens que les jeunes exploitants obligés d'investir pour se lancer. "Quand je vais voir une banque pour acheter des terres, elle me voit comme un investisseur foncier pas comme un exploitant agricole, témoigne Antoine Bonfillon. Elle sait très bien que je n'amortirai jamais mon hectare avec mon métier."

En théorie, la Safer devrait réguler ce marché. Elle a été créée en 1962 à cet effet, pour aider les jeunes exploitants à s'installer. Si possible en faisant en sorte que les terres restent abordables. Pour cela, elle peut éventuellement préempter des ventes lorsqu'elle juge que les prix ont disproportionnés. Sauf que dans les faits, sur 220.000 ventes par an, elle n'en préempte que 1.500. D'une part, parce qu'elle n'a pas des moyens illimités, d'autre part, parce que de plus en plus de ventes échappent à sa surveillance. Avec des terrains qui se vendent notamment sur des sites comme le Bon Coin. Et lorsqu'elle apprend qu'il a été vendu, c'est trop tard, elle ne peut plus rien faire. Juste constater que les prix ont encore augmenté, une année de plus.

Frédéric Bianchi