BFM Business
Economie et Social

Michel Rocard à propos du déficit "Je suis contre la règle d'or"

Entretien avec Michel Rocard le 13 septembre 2012

Entretien avec Michel Rocard le 13 septembre 2012 - -

L'ancien Premier ministre socialiste nous a reçus dans son bureau des Champs Elysées, jeudi 13 septembre. L'occasion d'évoquer la politique économique de François Hollande, la crise de la dette, et les solutions pour en sortir.

BFMbusiness. com : Comment jugez-vous l’action du gouvernement pour l’instant ?

Michel Rocard : Le gouvernement fait le minimum nécessaire pour garder intact un accord européen. Il n’a pas d’autre choix que d’avaler la pilule. Mais il le fait en même temps qu’il crée des postes dans l’éducation nationale, ceux-là même qui avaient injustement été supprimés précédemment. Le retour à la retraite à 60 ans pour certains est également un juste retour à la normale, car ce qui a été fait était discourtois. En clair : le gouvernement fait le minimum, mais il le fait plutôt bien.

Pourquoi n’arrive-t-on pas à sortir de la crise ?

La plupart des gouvernements européens se trouvent complètement coincés. A cause des engagements internationaux, d’une part, mais aussi à cause de la gravité de leur dette. En France, nous avons deux priorités : préserver l’équilibre de nos finances, et renforcer l’Europe, afin de pouvoir faire face au monde tel qu’il sera demain. Au vu de l’affaiblissement des Etats-Unis, nous devons avoir une Europe puissante afin d’amorcer la grande conversation qui s’annonce avec la Chine et l’Inde, dans les 15 à 20 ans qui viennent.

Nous sommes au cœur d’une crise grave amplifiée par l’endettement des Etats. La pensée traditionnelle –celle qui nous a amené à la crise, justement- veut qu’on donne la priorité à la réduction des déficits. Mais cela nous amène à la récession ! Les dépenses publiques, ce sont majoritairement des salaires, donc de l’activité économique. Certains gouvernements, et notamment le gouvernement allemand, imposent des mesures qui ne produisent pas de croissance, ou pire, l’empêche. Or, si la croissance baisse, la capacité à rembourser la dette aussi. La vérité, c’est que le combat est intellectuel. La pensée allemande joue dans ce sens récessif, ce qui aboutit à une politique dangereuse.

Selon vous, la France ne doit donc pas voter le traité européen ?

Si. Tenter d’échapper à la réalité en refusant le traité est complètement idiot. La France est trop petite, trop seule. Nous courrons à la catastrophe si nous prenons le risque de faire éclater la zone Euro. Tous les pays se retrouveraient avec leur ancienne monnaie dévaluée de 20 à 50%, selon leur dette, ce qui serait intenable. J’ai la certitude qu’il n’y a pas d’issue solitaire.

L’objectif de réduction du déficit à 3% en 2013 est-il tenable ?

C’est un objectif très difficile. Il est tenable si l’on reste dans une phase de stagnation, comme depuis neuf mois. Par contre, si nous entrons dans une phase de récession comme je le prévois, ce sera tout bonnement impossible. C’est pour cela que je suis contre la règle d’or.

Le Mécanisme de stabilité européen (MES) est-il selon vous une bonne nouvelle ?

Oui, c’est une chance d’éviter une sous-crise à l’intérieur de la crise. Et cela grâce à la décision de la cour suprême allemande et celle de la BCE, qui va acheter de la dette des Etats de manière illimitée. Nous venons de vivre une bonne semaine, qui permet d’éviter le renforcement de la charge de la dette et la crise de l’Euro.

Quelle solution préconisez-vous ?

Il faut continuer dans cette logique de fédération des Etats européens, accompagnée d’une mutualisation de la dette. Nous devrons stériliser une grosse partie de cette dette, ce qui s’apparente à une banqueroute. Cela doit être accompagné de prêts à moindre coût aux pays en difficulté.

N’avez-vous pas peur de la réaction des marchés ?

Aujourd’hui, l’ensemble des liquidités en circulation représente quatre fois le PIB mondial. Sur cette somme, 2% seulement sert à l’économie réelle, aux investissements, etc. Alors évidemment, cette proposition ne va pas rendre heureux ceux qui jouent avec les 98% restants sur les marchés virtuels, mais c’est la seule solution pour nous en sortir. Le problème, c’est que les Etats-Unis suivent l’Europe dans cette démarche. Mais c’est tout à fait possible, au vu de leur propre dette, qui représente trois fois et demi leur PIB.

Croyez-vous que cette solution puisse prochainement voir le jour ?

Le débat avance. Malheureusement, l’Allemagne et une moitié des Américains –les républicains- ne se sont pas encore faits à cette idée. Encore une fois, c’est un combat intellectuel. Aujourd’hui, nous sommes dans la situation d’un médecin façon Molière, qui parlerait de sa science avant l’arrivée de Pasteur. Nous parlons d’une façon savante, mais nous avons mal pensé l’économie.

Quel serait le pire des scénarios ?

Si l’on rentre dans une récession généralisée, on court le risque de se retrouver dans la situation de 1930. Celle-là même qui a généré des conflits sociaux partout dans le monde et qui, entre autres, a amené Hitler au pouvoir.

Yann Duvert