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Economie et Social

Michel Rocard, l'homme qui a réconcilié la gauche avec l'économie

Michel Rocard a fait preuve de réalisme économique

Michel Rocard a fait preuve de réalisme économique - Michel Plassard - AFP

Décédé samedi 2 juillet, l'ancien Premier ministre avait très vite compris que la gauche devait prendre à bras le corps l'économie de marché sans pour autant verser dans l'ultra-libéralisme, ni oublier les valeurs sociales. Ses idées se sont aujourd'hui largement imposées.

Si Michel Rocard était un grand pragmatique sur le plan politique, il l'était tout autant en économie. D'abord partisan de l'autogestion au début des années 70, le père de la deuxième gauche comprend très vite l'intérêt de l'économie de marché.

C'est d'ailleurs ce qui le distingue, lui et ses partisans, du courant traditionnel du Parti Socialiste, incarné par son rival de toujours, François Mitterrand. Le congrès de Metz du PS, en 1979, est le théâtre de cette opposition. Michel Rocard y affirme son ouverture à l'économie de marché ainsi que son rejet des nationalisations à outrance (qui auront toutefois lieu au début de l'arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981). "L'économie ne se change pas par décret", affirme-t-il.

"Celui qui a repensé l'économie sociale de marché"

Dans son hommage à Michel Rocard samedi, le ministre des Finances Michel Sapin a bien décrit la rupture économique que représentait alors l'ex-Premier ministre, louant son "réalisme économique". "Michel Rocard a su réconcilier la gauche et l'économie, il a su établir un dialogue fécond entre la gauche et l'entreprise", a-t-il souligné dans un communiqué. De son côté, le ministre de l'Économie Emmanuel Macron, a rappelé que Michel Rocard est celui qui "a repensé l'économie sociale de marché".

Car si Michel Rocard adoptait un ton plus favorable au libéralisme que les mitterrandiens, il n'en oubliait pas moins les valeurs sociales, qui ont évidemment influencé sa politique économique. Une fois nommé Premier ministre en 1988, le natif de Courbevoie veut développer la "démocratie sociale". C'est ce qui l'amène à créer en 1988 le revenu minimum d'insertion (RMI), instaurant un revenu pour les chômeurs en fin de droit. Fier de sa création, il l'a compare à la création de la Sécurité Sociale et déclare qu'elle a "sauvé 2 millions de personnes".

Outre cette mesure phare, il met également en œuvre sa politique sociale en abordant la question du "grand problème de la ville" et en annonçant ainsi des "travaux d'urgence dans les quartiers dégradés", rappelle la page qui lui est consacrée sur le site du gouvernement.

Le premier à introduire la rigueur

Une politique sociale qui a un coût et c'est pour la financer que Michel Rocard va prendre l'autre grande mesure économique qui a marqué son action politique: la contribution sociale générale (CSG), créée en 1990. Elle diffère de l'impôt sur le revenu, dans le sens où elle est prélevée à la source et touche l'ensemble des revenus qu'ils soient issus du capital ou du travail. Initialement fixé à 1,1%, son taux est relevé à de nombreuses reprises au point d'atteindre 7,5% à l'heure actuelle.

Michel Rocard était d'ailleurs, selon ses amis, le premier à gauche à introduire la notion de rigueur financière. "Si la solidarité était au cœur de son action publique, Michel Rocard reconnaissait le besoin de maîtrise 'des dépenses publiques et sociales au service de l'emploi'", souligne le site du gouvernement, rappelant qu'il avait souhaité réduire le déficit de 15 milliard de francs en 1989. Mais faire de Michel Rocard un pape de l'orthodoxie budgétaire serait aller bien vite en besogne. 

"La pensée traditionnelle –celle qui nous a amené à la crise - veut qu’on donne la priorité à la réduction des déficits. Mais cela nous amène à la récession ! Les dépenses publiques, ce sont majoritairement des salaires, donc de l’activité économique", affirmait-il ainsi dans une interview à BFMbusiness.com, fin 2012. "Or, si la croissance baisse, la capacité à rembourser la dette aussi", ajoutait-il. Michel Rocard était ainsi bien plus un pragmatique lucide qu'un chantre de la rigueur budgétaire.

La méthode Rocard

Un trait qui se retrouvait aussi dans sa "méthode rocardienne", faite de dialogue sociale et dont François Hollande s'est grandement inspirée pour sa politique économique. Interrogé sur cette dernière par les Inrocks en 2012, il en refuse la paternité tout en décrivant ses mécanismes.

"La méthode s'appelle la social-démocratie: on change la société par le dialogue social et le contrat plutôt que par la loi", affirmait-il avant de donner un exemple. "Prenez les retraites. Dès 1988, mon gouvernement s'est attaqué au problème. J'avais prévu plusieurs étapes: d'abord un diagnostic qui fut accepté et signé par le patronat et tous les syndicats sauf la CGT, puis une mission de dialogue dans chaque préfecture ou Bourse de Travail". Sa démission prématurée de Matignon en 1991, qui le crédite néanmoins d'un bon bilan économique (voir encadré), aura raison de son livre blanc des retraites.

Un héritage bien présent

Au final, c'est un autre grand Premier ministre socialiste, Lionel Jospin, qui synthétise ce qu'était Michel Rocard pour l'économie. "C'était un modernisateur en économie, mais ce n'était pas un néo-libéral. C'était un social-démocrate épris de dialogue social", a-t-il déclaré sur France Inter. Et l'ancien Premier ministre de noter très justement que "le paradoxe, c'est que François Mitterrand a dominé Michel Rocard politiquement et Michel Rocard l'a emporté économiquement, du point de vue des politiques mises en oeuvre ensuite".

Car si Michel Rocard est aujourd'hui décédé, sa pensée économique est aujourd'hui plus que jamais présente dans les hautes sphères du pouvoir. Manuel Valls, Michel Sapin, Emmanuel Macron, auxquels on pourrait ajouter Marisol Touraine, sont autant de ministres qui se réclament comme les héritiers du rocardisme.

Un pilotage économique réussi

Durant les quatre années que Michel Rocard a passé à Matignon, l'économie s'est relativement bien portée. La croissance a progressé à un rythme élevé (4,7% en 1988, 4,4% en 1989 et 2,9% en 1990) avant de toutefois ralentir brusquement l'année de son départ (1% en 1991). L'inflation est maîtrisée sous les 4%, le déficit public ne dépasse pas les 3% et le chômage recule, passant de 8,4% en 88 à 7,7% en 91. Un bon bilan qui n'empêchera pas François Mitterrand de réclamer sa démission en mai 1991.