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Présidentielle: qui soutient qui chez les économistes?

De gauche à droite, Jacques Généreux, Thomas Piketty, Jean-Pisani-Ferry, Philippe Chalmin et Jean Messiah

De gauche à droite, Jacques Généreux, Thomas Piketty, Jean-Pisani-Ferry, Philippe Chalmin et Jean Messiah - Montage BFMbusiness.com / AFP

Si les grands économistes ont tendance à rester non-alignés pour commenter et décrypter les différentes mesures des politiques, plusieurs d'entre eux affichent leur soutien à des candidats. Certains vont même jusqu'à intégrer leur équipe de campagne.

Pour beaucoup ils sont le gage du sérieux d'un programme et/ou d'une mesure: les économistes s'imposent de plus en plus dans le débat public et n'hésitent plus pour certains à rallier l'un ou l'autre candidat à l'élection présidentielle.

"Depuis plusieurs années la préoccupation majeure, qui a donné lieu à une véritable prise de conscience collective, est que la puissance économique de la France régresse. À partir de là, les experts économiques sont devenus dominants dans le débat, reléguant les sociologues et les autres experts", commente Olivier Rouquan, politologue et auteur d'En finir avec le président! (ed. François Bourin). Mais pour ceux qui s'engagent "c'est une affaire à double tranchant: car leur expertise n'est alors plus forcément des plus crédibles", poursuit-il. Ce qui explique, peut-être que beaucoup décident de rester non-aligné (voir plus bas). Mais pour les autres, voici une liste non exhaustive d'économistes qui ont choisi leur poulain.

> Pour Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche)

Le plus célèbre économiste du camp de l'ex-membre du PS reste le professeur d'économie Jacques Généreux, qui est d'ailleurs le coordinateur du programme de Jean-Luc Mélenchon, qu'il conseille depuis 2008. Nombreux sont les étudiants qui ont eu entre les mains les manuels d'économie politique et de microéconomie du professeur de Sciences Po Paris, où il enseigne depuis 1983. Résolument opposé au libéralisme, il se considère comme un économiste hétérodoxe, c'est-à-dire convaincu que le marché seul ne fonctionne pas.

Le leader du Parti de gauche compte aussi parmi ses soutiens le co-président des économistes atterrés (un collectif d'économistes dénonçant le libéralisme et la rigueur budgétaire) Benjamin Coriat, professeur à Paris XIII et spécialiste de l'économie industrielle et de l'innovation. Ses récents travaux sur l'économie collaborative l'ont amené à qualifier Uber ou Airbnb "d'entreprises prédatrices".

Enfin, même s'il est avait tout un homme politique (cadre du PS jusqu'à son départ en 2015, eurodéputé de 2009 à 2014), Liêm Hoang-Ngoc, est économiste de formation et a notamment enseigné à l'Université Panthéon Sorbonne. Comme Thomas Piketty, les inégalités de revenus font partie des sujets qu'il affectionne.

> Pour Benoît Hamon (Parti socialiste)

Le représentant du PS peut compter sur l'appui du couple Thomas Piketty-Julia Cagé, qui ont rejoint son équipe après sa victoire à la primaire de la gauche.

Julia Cagé est une jeune économiste (33 ans), chargée des questions économiques dans la campagne de Benoît Hamon. Elle a ainsi été la cheville ouvrière de la deuxième version du revenu universel. Sa sœur jumelle, Agathe, est secrétaire générale de la campagne de Benoît Hamon. Enseignante à Sciences Po après être passée par Harvard et l'ENS, Julia Cagé s'est plus spécialement penchée sur l'économie du développement ainsi que sur l'avenir économique des médias.

On ne présente plus vraiment son mari, Thomas Piketty, grand spécialiste des inégalités et dont le livre Le Capital au XXIe siècle a fait un carton aux États-Unis. Après avoir soutenu en 2012 François Hollande (dont il a ensuite étrillé la politique fiscale), il a donc rejoint mi-février l'équipe de "gouvernance citoyenne" de Benoît Hamon où il est en charge du Traité Budgétaire Européen. La création d'une assemblée démocratique de la zone euro ainsi que la mutualisation et la renégociation de la dette des pays du Sud sont autant de thématiques qu'il lui a insufflées.

Autre poids lourd, Daniel Cohen a annoncé sur BFMTV-RMC le 16 février qu'il soutenait Benoît Hamon. Membre fondateur de la Paris School of Economics, il a obtenu plusieurs fois le prix du livre d'Économie et est spécialiste des questions de macroéconomie internationale (budget, dette, commerce international).

> Emmanuel Macron (En Marche!)

Les économistes sont assez nombreux à avoir rejoint Emmanuel Macron.

En premier lieu, on peut citer, bien sûr, Jean Pisani-Ferry, qui a quitté son poste de commissaire général de France Stratégie pour devenir son directeur de programme. Selon un de ses collègues, "sa présence rassure beaucoup" les économistes du monde universitaire. Jean Pisani-Ferry a consacré l'essentiel de sa vie à la recherche économique mais traitait plus récemment des questions d'intégration européennes (euro, fiscalité, budget européen).

Philippe Aghion est un autre grand économiste qui soutient Emmanuel Macron. Les deux hommes sont d'ailleurs réputés proches. Ancien conseiller de François Hollande (dont il estime qu'il a "manqué son rendez-vous avec l'histoire") en 2012, et bardé de récompenses (médaille d'argent du CNRS, prix Schumpeter…), il est professeur au Collège de France. Ses travaux portent plus spécialement sur les déterminants de la croissance.

Philippe Aghion a entraîné avec lui ses deux compères Elie Cohen (CNRS) et Gilbert Cette (Université Aix-Marseille), qui avaient soutenu François Hollande en 2012. Tous les trois sont notamment connus pour avoir cosigné l'ouvrage Changer de modèle en 2014, qui proposait de réformer le SMIC

Dans son équipe, Emmanuel Macron s'appuie sur Philippe Martin qui était déjà son conseiller économique à Bercy. Enseignant à Sciences Po depuis 2009, il avait obtenu le prix du meilleur jeune économiste en 2002 (qu'il partagea avec Thomas Piketty) et est spécialiste des questions d'économie internationale. Dans la garde rapprochée d'Emmanuel Macron se trouve aussi Marc Ferracci, professeur à l'Université Paris I, spécialiste des questions d'emploi et de formation, qui avait publiquement soutenu la loi El Khomri dans une tribune au Monde. Figure aussi dans son équipe Anne Perrot, membre du cabinet de conseil MAPP et spécialiste de l'économie de la régulation et de la concurrence. Elle a d'ailleurs été vice-présidente de l'autorité de la concurrence.

Autre pointure soutenant Emmanuel Macron: Hélène Rey, peut-être la plus grande économiste tricolore après Jean Tirole. Enseignante à la London Business School et spécialiste de la Finance, elle collectionne les publications dans les meilleures revues académiques (American Economic Review, Economic Review, Journal of Political Economy...).Elle avait obtenu en 2013 le prix Yrjö Jahnsson, prix remis à un jeune économiste de moins de 45 ans et dont les travaux ont grandement contribué à la recherche scientifique. Elle avait d'ailleurs partagé cette récompense avec Thomas Piketty. 

L'économiste Thierry Philippon, ancien conseiller économique de Pierre Moscovici et professeur à la New York University, nous a assuré qu'il soutenait Emmanuel Macron. Meilleure jeune économiste en 2009 et membre de la liste des meilleurs économistes de moins de 45 ans établie par le FMI, il s'intéresse notamment à la régulation bancaire.

S'il n'a pas souhaité nous répondre, le président du Cercle des économistes Jean-Hervé Lorenzi a été aperçu lors de meetings d'Emmanuel Macron.

> Pour François Fillon (Les Républicains)

Difficile de trouver des économistes qui soutiennent encore François Fillon. "Nous ne sommes clairement pas très nombreux", reconnaît Philippe Chalmin, professeur à Paris Dauphine et grand spécialiste des matières premières. Il est notamment connu pour publier chaque année le "rapport Cyclope", un rapport annuel ou plutôt une bible (plus de 800 pages) sur le sujet. "Il faut un certain sens de la fidélité comme le mien pour avoir bravé la tempête Pénélope", affirme celui qui avait déjà soutenu à deux reprises Nicolas Sarkozy.

Philippe Chalmin reconnaît toutefois avoir été déçu par le vainqueur de la primaire à droite et au centre car "j'estimais que François Fillon tenait un discours différent par rapport à l'argent et l'exemplarité". Mais il considère que, depuis, le candidat de la droite a "battu sa coulpe". Philippe Chalmin entend publier une tribune pour convaincre les économistes de rallier sa cause. Un exercice qui, il le reconnaît est loin d'être évident. "Je suis pour le moment très déçu par certains de mes collègues pour qui j'ai pourtant beaucoup d'estime", nous confie-t-il.

> Pour Marine Le Pen (Front national)

Docteur en économie et énarque franco-égyptien, Jean Messiha a un CV qui détonne au sein du Front national. C'est néanmoins bien lui qui a coordonné le programme de Marine Le Pen. Au Figaro, il explique avoir été séduit par la "ligne souverainiste" de la candidate frontiste et s'intéresse particulièrement à la sortie de l'euro.

Par ailleurs le FN peut compter sur les deux "têtes pensantes" du programme économique: Bernard Monot, ancien analyste chez Allianz et membre de la Caisse des dépôt et consignations, et de Jean-Richard Sulzer, agrégé d’économie et de gestion, et ancien professeur à l’université Paris-Dauphine. Selon le premier, une douzaine d’économistes aurait contribué à l’élaboration de la stratégie frontiste dans le domaine de l’économie. Parmi eux, "cinq banquiers centraux, deux de la Banque de France et trois de la Banque centrale européenne", assure Bernard Monot. Des économistes tels que Michel Santi (économiste franco-suisse membre fondateur de l'ONG Financewatch) ou Gérard Lafay  (professeur émérite à Panthéon-Assas et partisan d'une sortie en douceur de l'euro par la France) font également partie de cette liste. En revanche, Jacques Sapir, souvent décrit comme un proche du FN, s’est contenté d’un "soutien technique", et n’a jamais apporté son soutien au parti de Marine Le Pen.

> Les non alignés

Le prix Nobel 2014 Jean Tirole veille à se faire discret dans le débat sur l'élection présidentielle. Et selon sa responsable de communication il ne prendra publiquement aucun parti, Jean Tirole ayant l'habitude de ne pas donner de préférence. Il ne l'avait d'ailleurs pas fait en 2012.

Antoine Bozio, le professeur de la Paris School of Economics et directeur de l'Institut des politiques publiques ne soutient aucun candidat et veille à ce que son institut "essaie dans la mesure du possible de répondre à toutes les sollicitations des candidats sur des points d’expertise", explique-t-il. Même son de cloche chez l'économiste spécialiste du marché du travail, Philippe Askenazy. "Cela me permet de librement commenter, critiquer si besoin, la cohérence des propositions économiques des uns et des autres", avance celui qui avait néanmoins soutenu François Hollande en 2012. Idem toujours pour la présidente du Cercle des Épargnants, Valérie Plagnol, qui apporte notamment son expertise sur le volet "retraites" du programme des candidats.

Agnès Benassy-Quéré, la spécialiste des questions monétaires et ex-directrice du CEPII avait soutenu François Hollande 2012. Elle a poliment refusé de nous donner une quelconque préférence pour l'un ou l'autre des candidats.

Christian Saint-Étienne, économiste libéral au CNAM et autre spécialiste des questions monétaires nous assure ne pas soutenir de candidats en particulier. Pas même François Fillon, alors que l'économiste est pourtant membre des Républicains (il est d'ailleurs conseiller de Paris sous cette étiquette).

Nicolas Bouzou, le directeur de la société d'analyse économique Asterès a hésité et a choisi un candidat mais n'a pas souhaité nous dire lequel en raison des règles imposées par le CSA sur le temps de parole. Il avait soutenu Alain Juppé à la primaire de la droite et du centre à l'automne dernier.

Enfin, l'OFCE, le centre de recherche économique plutôt keynésien ne prend parti pour aucun candidat "mais leur apporte, s'ils le souhaitent leur expertise sur des questions précises", explique son directeur du département analyses et prévisions, Éric Heyer qui à titre personnel n'a d'ailleurs pas de préférence. Seuls deux candidats, Emmanuel Macron et Benoît Hamon, ont sollicité son expertise. Le second a notamment demandé un chiffrage sur le coût du revenu universel (qui n'est d'ailleurs pas celui qu'il a récemment avancé). 

Julien Marion avec Yann Duvert