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Suspectée d’avoir simulé son agression, une syndicaliste d’Areva devant les juges

Maureen Kearney dit avoir été agressée et violée à son domicile fin 2012. La justice l’accuse d’avoir inventé son histoire et de s’être elle-même mutilée. À l’époque, elle militait contre la direction d’Areva qui négociait un gros contrat avec la Chine. Son procès a lieu ce lundi au tribunal de Versailles.

Elle a attendu quatre ans. Quatre longues années de doutes, de déprimes, de sentiment d’injustice. Maureen Kearney, ancienne syndicaliste CFDT d’Areva se présente devant les juges ce lundi 15 mai. Le procès d’une femme de 61 ans qui clame avoir été agressée et ligotée à son domicile au petit matin du 17 décembre 2012. La pointe d’un couteau de cuisine a servi à lui graver sur le bas du ventre un A, comme Areva.

Maureen Kearney a été retrouvée par sa femme de ménage à moitié nue, assise sur une chaise, violée par le manche du même couteau. En deux heures, le GIGN encercle le quartier et l’Élysée est prévenu. La secrétaire du comité de groupe d’Areva n’est pas inconnue. Elle milite alors depuis plus d’un an contre la direction du groupe pour faire la lumière sur d’obscurs contrats passés avec la Chine (voir encadré). Le lien est rapidement fait par la victime qui se disait menacée depuis plusieurs mois.

"Ils m’ont poussée à passer aux aveux"

Mais rapidement, les gendarmes chargés de l’enquête ne croient pas à la version de la syndicaliste. Après trois semaines d’auditions, ils classent sans suite l’enquête pour "viol, enlèvement, séquestration et prise d’otage" au motif hallucinant que "ces faits ne sont pas punis par la loi". Le 23 janvier 2013, elle est mise en examen pour "dénonciation d’un crime imaginaire". L’ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel, que BFM Business s’est procurée, estime que "les déclarations de Maureen Kearney sont en contradiction avec certaines constatations matérielles ou déclarations de témoins".

Le juge d’instruction insiste sur son profil psychologique et celui de ses enfants. Elle s’appuie sur des interprétations erronées des conclusions des psychiatres. Et conclut que son "état psychologique paraît compatible avec une agression simulée". Mais l’instruction occulte totalement dans ses conclusions les multiples zones d’ombre relevées par Maureen Kearney et son mari. Elle assure avoir subi des pressions des enquêteurs. "Ils m’ont poussée à passer aux aveux sinon ma famille allait subir un rouleau compresseur" explique-t-elle aujourd’hui à BFM Business. Les enjeux financiers de l'industrie nucléaire sont trop puissants. Dans l'ordonnance de renvoi des juges, elle fait état "d'un arrangement proposé par le procureur [...] pour rédiger des aveux en contrepartie d'un classement de la procédure".

"Je n’arrivais même pas à agrafer mon soutien-gorge"

Son mari, Gilles Hugo, dénonce lui aussi les conditions de son interrogatoire. "Les gendarmes ont reformulé et interprété mes propos pour donner raison à leur version, explique-t-il. Ils ont ensuite refusé que je les précise et les clarifie". Surtout, l’enquête s’est concentrée sur quelques points a priori annexes comme la variation du volume de la télévision pendant l'agression ou la transparence du bonnet qu’elle avait sur la tête. Sans pour autant s’attarder sur un élément clé du dossier: Maureen Kearney avait l’épaule droite blessée qui l’empêchait de ligoter elle-même ses mains.

Selon son avocat Thibault de Montbrial, cette rupture de trois muscles sur cinq "empêche de tourner totalement le bras et encore plus de le placer derrière le dos". Le médecin saisi par la justice n’a pas eu accès au dossier médical de l’épaule de Maureen Kearney. L'avocat écrit dans sa note de défense que "le médecin consulté avant son agression conclut qu’il est plus qu’invraisemblable qu’elle ait pu se ligoter elle-même". L’accusée tranche par un fait simple: "Je n’arrivais même pas à agrafer mon soutien-gorge".

Montebourg témoignera au procès

Deux pièces à conviction majeures n’ont pas servi à l’instruction. D’abord, la chaise sur laquelle la victime était attachée n’a pas été saisie par les gendarmes après l’agression. Ils ont attendu 5 jours pour en prendre une, sans savoir si c’était la bonne. Mais surtout, Thibault de Montbrial met en avant le couteau, avec lequel sa cliente a été violée, qui n’a même pas été envoyé pour expertise…

Des amies et collègues d’Areva, notamment de la CFDT, témoigneront en faveur de Maureen Kearney. Mais un témoin de poids lui apportera son soutien: Arnaud Montebourg. L’ancien ministre du Redressement productif était à Bercy au moment des faits. Il mettra en avant le "sérieux" de la victime et la position ambiguë de l’ancien président d’Areva, Luc Oursel.

Face à tant d’incompréhensions, le juge du Tribunal de Versailles n’aura pas la tâche facile. D’autant que le procès ne durera qu’une demi-journée. Pas assez pour rentrer dans le détail, ni la dédouaner, ni la condamner. Juste ce qu’il faut pour classer l’affaire. Sans pour autant faire la lumière. Le verdict est attendu cet été.

Les obscurs contrats passés avec la Chine

Lors de son agression fin 2012, Maureen Kearney bataille depuis plusieurs mois avec la direction d’Areva pour obtenir des détails sur un contrat signé avec la Chine. Avec ses collègues de la CFDT, la secrétaire du comité de groupe européen d’Areva s’inquiète d’importants transferts de technologie.

En octobre 2012, EDF, Areva et leur homologue chinois CGNPC signent un accord pour concevoir et fabriquer ensemble un réacteur franco-chinois de moyenne puissance (1000MW). Maureen Kearney se procure en interne des documents confidentiels prouvant ces transferts de technologie. Le bras de fer avec la direction d’Areva, surtout son président Luc Oursel, est intense.

La tension est d’autant plus forte que la syndicaliste est proche d’Anne Lauvergeon, l’ancienne patronne d’Areva qui a été débarquée du groupe un an auparavant. Luc Oursel croit qu’elle manipule Maureen Kearney pour l’évincer. Et voit dans la salariée une complotiste. Une situation aggravée par un contexte encore plus sensible entre Areva et EDF. La rivalité entre Anne Lauvergeon et le PDG d’EDF, Henri Proglio, avait atteint son paroxysme en 2010 et 2011.

Matthieu Pechberty