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Après l'Argentine, l'Europe doit-elle avoir peur des fonds vautours?

L'Argentine a dû mettre un genou à terre devant les fonds spéculatifs qui refusaient la décote de leurs titres de dette.

L'Argentine a dû mettre un genou à terre devant les fonds spéculatifs qui refusaient la décote de leurs titres de dette. - Alejandro Pagni - AFP

Les fonds spéculatifs qui avaient racheté de la dette argentine à prix mini ont réussi à forcer Buenos Aires à la leur rembourser à prix fort. Ils toucheront 17 fois leur mise. Un tel scénario pourrait-il se produire en Europe?

Les fonds vautours ont gagné leur pari, plus de dix ans après avoir engagé un bras de fer avec une Argentine en défaut de paiement. Ces fonds spéculatifs avaient racheté de la dette du pays à prix cassé après son défaut en 2001. Contrairement aux autres créanciers de Buenos Aires, qui ont accepté une décote de 70% sur leurs titres, ils exigeaient le remboursement intégral des 1% de dette argentine qu'ils détenaient. Après l'accord trouvé lundi avec le gouvernement argentin, ces fonds devraient faire une plus-value de 1.600%! Des profits mirobolants, même en tenant compte des sommes qu'ils ont dû débourser en justice, aux quatre coins du monde, pour forcer Buenos Aires à régler la note.

Ces fonds sont qualifiés de "vautours" parce qu'ils achètent à bas prix de la dette d'un pays en défaut avant d'entreprendre des actions judiciaires pour en tirer de juteux bénéfices. Des fonds spéculatifs comme NML ou Aurelius se sont spécialisés dans ce type d'investissement, et ont déjà fait plier des pays comme le Pérou, la Zambie ou le Congo. D'où une question: ces fonds pourraient-ils s'en prendre à des pays d'Europe régulièrement acculés financièrement, comme la Grèce, l'Espagne, ou même l'Italie?

Les fonds vautours ont déjà fait du profit sur la Grèce

L'Europe tente déjà depuis plusieurs années de prévenir un tel scénario. En pleine crise des dettes souveraines en 2010, la zone euro a mis en place des pare-feux destinés à empêcher les fonds vautour d'aggraver la situation de ses membres en difficulté. En 2010, le premier plan d'aide à la Grèce a consisté à faire passer la dette grecque des mains des banques à celles d'organismes publics, comme le FMI, les autres États de la zone euro, la BCE. Si bien que 75% du total appartient désormais à des créanciers publics qui ne vendraient jamais leurs titres à des fonds spéculatifs. Quant à la partie détenue par des acteurs privés, moins de 20%, elle est majoritairement aux mains des banques grecques. Des établissements qui n'ont aucun intérêt à mettre le couteau sous la gorge d'un pays dont les habitants sont leurs clients.

Mais cette stratégie s'est révélée insuffisamment protectrice. En 2012, la Grèce prise à la gorge ne peut plus rembourser ses dettes. L'eurozone incite alors le secteur privé à accepter un remboursement partiel de leurs créances grecques. Une partie accepte, apporte ses titres à l'opération, et ne récupère qu'environ 50% de son dû. Mais "certains investisseurs qui avaient acheté des titres souverains grecs très décotés ont refusé toute restructuration", rappelle Louis Harreau, stratégiste au Crédit agricole CIB. Ceux-là, qui détiennent moins de 10% des créances privées d'Athènes, "se font rembourser à 100% des titres parfois payés 60% de leur valeur", souligne l'analyste.

Les deux tiers forcent la majorité

Quelques jours seulement après cette déconvenue, l'Europe décide d'étoffer sa boîte à outils contre ces spéculateurs. En avril 2012, la zone euro convient d'assortir l'émission de chaque titre souverain d'une Clause d'action collective, les CAC. Ces clauses prévoient qu'en cas de défaut souverain, si deux tiers des créanciers acceptent une décote, le tiers restant doit s'y soumettre également. Concrètement, "si l'Italie se retrouvait en défaut de paiement, elle pourrait rassembler les détenteurs de ses obligations pour leur proposer une décote. Si les deux tiers acceptent, tout le monde sera obligé de participer à l'opération", décrypte Louis Harreau. 

Et si les fonds vautours décidaient d'acheter plus d'un tiers de la dette, afin de bénéficier d'une minorité de blocage? Peu probable. Notamment parce que les montants en jeu seraient dissuasifs. Et surtout, ils n'y auraient aucun intérêt puisque "cette manœuvre améliorerait la situation du pays concerné, la demande faisant baisser ses coûts de financement, ce qui préviendrait le risque de défaut", tempère le stratégiste.

Un accord des deux tiers pas acquis

Pour autant, l'Europe n'est pas totalement protégée des fonds spéculatifs aujourd'hui. Notamment parce que les titres de dette souveraine émis avant janvier 2013 ne sont pas assortis de CAC. Et même s'il y en a de moins en moins en circulation à mesure que ces "vieilles" obligations atteignent leur maturité, il en reste encore.

En outre, l'accord des deux tiers des créanciers n'est pas acquis d'office. Mais "en l'absence d'accord, les investisseurs seraient confrontés à un défaut désorganisé du pays, qui ouvrirait la voie à une absence totale de remboursement, des procédures en justice, des années d'attente pour obtenir un accord", souligne Louis Harreau. En somme, "investisseurs et émetteurs ont tout intérêt à s'accorder".

Nina Godart
https://twitter.com/ninagodart Nina Godart Journaliste BFM Éco