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Comment on peut expliquer le succès d'Amazon ou le salaire de Neymar grâce à Luciano Pavarotti

Derrière Amazon de plus en plus dominant dans le e-commerce, et Neymar qui gagnerait 100.000 euros par jour, on retrouve le même effet baptisé Pavarotti, du nom du chanteur italien.

Derrière Amazon de plus en plus dominant dans le e-commerce, et Neymar qui gagnerait 100.000 euros par jour, on retrouve le même effet baptisé Pavarotti, du nom du chanteur italien. - Michal Cizek - AFP/ Amazon/PSG

Pourquoi la richesse tend à se concentrer à l'ère d'internet? À cause de ce que l'économiste français François Meunier appelle l'effet Pavarotti, du nom du ténor italien décédé en 2007. Explications.

Une domination sans partage. Aux États-Unis, selon une récente étude du cabinet Forrester, Amazon s'accapare 31% des ventes en ligne. Dans un pays qui compte des dizaines de milliers de sites e-commerce, un seul réalise près d'un tiers des ventes. Et cette part ne cesse d'augmenter puisqu'elle était de 28% en 2016 et 25% en 2015. Même chose en Allemagne selon la même étude où l'américain écrase encore plus la concurrence avec 37% des ventes réalisées en ligne. 

Une domination écrasante que l'on retrouve d'ailleurs aussi dans les réseaux sociaux ou la recherche en ligne. Avec plus de 2 milliards d'utilisateurs, Facebook domine de la tête et des épaules l'internet social. Derrière lui, Twitter ou Snapchat stagnent et surtout continuent à perdre beaucoup d'argent quand le réseau social de Mark Zuckerberg jouit d'une copieuse marge bénéficiaire de 40%! De son côté, Google est désormais le moteur de recherche universel puisque sa part de marché mondiale ne cesse de croître année après année et atteint désormais les 93%. Quand Bing (2,7%) et Yahoo (2,2%) se contentent de miettes.

Un creusement des inégalités qui n'est pas sans rappeler celui que l'on observe dans les rémunérations: celles des traders (1 million d'euros par an en moyenne dans les grandes banques françaises), des financiers ou ingénieurs dans la Silicon Valley (un contrôleur financier gagne 569.000 dollars/an chez Apple, un ingénieur ASIC 362.000 dollars...) et bien sûr des PDG ou des stars du foot dont les rémunérations ne semblent pas avoir de plafond. L'hebdomadaire Der Spiegel révélait ainsi ce week-end que Neymar, la nouvelle recrue du PSG, émargeait à 37 millions d'euros par an, soit 100.000 euros par jour.

L'effet Pavarotti ou la théorie du "winner takes it all" 

Une concentration des richesses qui peut paraître paradoxale à l'heure d'internet. L'accès à de plus en plus d'informations permet en effet de repérer et de connaître toujours plus de talents et d'avoir accès à davantage de services. Ce phénomène devrait donc logiquement exacerber la concurrence plutôt que de concentrer la fortune et créer des monopoles.

Sauf que dans les faits, c'est l'inverse qui se produit. Les richesses se concentrent et le succès s'auto-nourrit. Et c'est pour expliquer ce paradoxe apparent que l'économiste français François Meunier a théorisé ce qu'il a appelé "l'effet Pavarotti". Quel rapport entre feu le chanteur d'opéra, un site de e-commerce et un joueur brésilien vedette? Réponse: la notoriété. Chacun est reconnu comme le meilleur dans son domaine. C'est ce que l'économiste explique dans son article de 2007 "Les hauts salaires dans la banque: talent ou collusion ?"

"Supposons que les talents de Pavarotti et de tous les chanteurs lyriques soient mesurables et connus. Avec les disques et les CD, il suffit que Pavarotti soit marginalement meilleur, disons de 5%, que le deuxième meilleur chanteur d'opéra pour qu'il soit mieux classé par le public et que le consommateur, quand il cherche dans le bac à disques, retienne l'interprétation de Pavarotti plutôt que celle du chanteur suivant. Ainsi, les ventes de Pavarotti ont toute chance de dépasser de bien plus que 5% celles de son suivant immédiat."

Et si cette différence entre le premier et les suivants a toujours existé, elle tend à se creuser avec internet et plus généralement l'économie numérique. C'est ce qu'explique Nicolas Bouzou dans "Le Chagrin des classes moyennes":

"Pour un prix égal -celui du CD à l'époque- pourquoi ne pas écouter la meilleure interprétation? Car l'économie moderne, que l'industrie de la musique a préfigurée, fonctionne à coûts fixes. Pavarotti enregistre son disque une seule fois mais sa maison de disque peut vendre un nombre infini de CD et de fichiers MP3. Le coût marginal de production est quasiment nul. Cette caractéristique de l'économie de l'immatériel a une conséquence vertigineuse: le coût total de production est le même, que l'on vende une unité de produit ou 10 millions."

Ainsi, cela ne coûte quasiment rien à Facebook, Google ou Amazon de lancer leur service dans un nouveau pays mais les gains sont eux colossaux. D'autant que la mondialisation vient renforcer ce phénomène. La notoriété d'une marque dépasse désormais rapidement le cadre national. Des États-Unis à l'Inde en passant par la France ou l'Argentine, tout le monde connaît Facebook, Amazon ou Google. Internet agit comme un porte-voix et démultiplie les écarts. 

"Vous ne remplacez pas un Neymar par dix joueurs médiocres"

Prenons un exemple avec le commerce. Pour se développer dans un pays comme la France, l'enseigne Carrefour a du petit à petit mailler tout le territoire pour ouvrir ses 247 hypermarchés. Un processus long et coûteux et qui est passé par de nombreux rachats d'enseignes. Et sur chaque nouveau marché auquel l'enseigne s'attaque, elle doit repartir de zéro tant sur le plan de la notoriété que de l'implantation. Résultat, chaque pays ou presque a son enseigne de type Carrefour. En revanche, Amazon n'a pas toutes ces contraintes. Il a suffi au e-commerçant d'être à un moment donné un peu meilleur que les autres pour prendre le leadership aux États-Unis puis creuser l'écart grâce à sa notoriété acquise sur le web. Pourquoi acheter mes couches sur un site concurrent si je sais qu'Amazon va les livrer plus vite et me les faire payer moins cher? Et pour s'implanter à l'étranger, pas de problème. Un entrepôt et un site internet suffisent à avoir une aura nationale. 

Et c'est cette même logique de concentration qui préside dans les rémunérations. Comme pour Pavarotti, la logique du "winner takes it all" chère à Abba se retrouve parfaitement dans les métiers de la finance.

"On retrouve la logique selon laquelle un trader marginalement meilleur qu'un autre doit recevoir une rémunération proportionnellement plus forte, explique François Meunier. Vous ne remplacez pas un bon trader par dix traders médiocres".

Et le phénomène s'est accru avec les nouveaux moyens de communication qui permettent au trader d'être actif sur tous les marchés à la fois.

Idem dans le sport avec les très fortes rémunérations des stars de foot. Vous ne remplacez pas un Neymar par dix joueurs médiocres. "Je veux le meilleur dans mon stade, je suis prêt à payer tout ce qui faut pour l'avoir, explique l'économiste Daniel Cohen. La montée des droits télévisuels s'explique par le fait que désormais le monde entier peut voir un match de foot. La richesse liée à la multiplication des chaînes de télévision qui s'explique par la réduction des coûts de communication va dans les poches d'un seul, le chaînon rare de la chaîne de valeur: le joueur."

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco