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Dettes souveraines: le coup de force des marchés contre la BCE

La journée de turbulences sur les marchés hier sonne comme un énorme coup de semonce à la BCE, et un test de la crédibilité de sa politique monétaire par le secteur financier.

La journée de turbulences sur les marchés hier sonne comme un énorme coup de semonce à la BCE, et un test de la crédibilité de sa politique monétaire par le secteur financier. - Daniel Roland - AFP

La journée du 7 mai restera gravée dans les annales boursières pour longtemps. Extrême volatilité sur les taux, fortes  turbulences sur les marchés boursiers… tout porte à croire que les investisseurs mettent la BCE sous pression face aux déséquilibres financiers actuels.

Du jamais vu depuis 25 ans ! C’est ainsi que les traders du marché obligataire ont qualifié ce qui se passait hier, quand ils ont vu en quelques dizaines de minutes la courbe de rendement de la dette allemande à 10 ans s’envoler vers 0,78%... alors qu’il y a 15 jours, on attendait qu’elle passe en zone négative, à 0,15%...

Le taux de l’OAT 10 ans français s’est aussi envolé, dépassant même 1% en séance, alors qu’on était à 0,4% la semaine dernière. Très concrètement, d’une semaine à l’autre, le Trésor français a dû emprunter plus de 2 fois plus cher sur le marché pour ses opérations de refinancement.

Très forte volatilité

Quant au taux des pays dits périphériques, Italie et Espagne, ils ont très rapidement flambé en direction des 2%, sortant d’une période prolongé où ils étaient inférieurs à 1,5%. Une ébullition générale, et une rapidité de mouvement qu’on avait pas vue depuis la crise des dettes souveraines en Zone Euro.

Malgré tout, la situation s’est calmée en fin de journée, les taux se sont détendus, et les marchés actions ont terminé peu ou prou à l’équilibre. Mais avec une volatilité impressionnante, au plus haut depuis des mois, puisque le CAC40 par exemple aura perdu jusqu’à 2% avant de terminer à -0,29%.

Quand Bill Gross allume la mèche

Les causes de cette agitation, qui résonne comme un véritable coup de semonce, remontent à une semaine et demie, au moment précis où les taux européens, alors à un niveau plancher, ont commencé à se tendre légèrement, avant une accélération progressive, et un final en forme de secousse sismique.

Il y a une semaine et demie, Bill Gross, co-fondateur du géant de la gestion PIMCO, un des principaux intervenants sur le marché des dettes souveraines, déclarait que le contexte était rêvé pour que s’enclenche un mouvement de vente massif sur les dettes européennes, notamment allemande.

Face à face avec la BCE

Une opportunité qualifiée de "Short of a lifetime " par l’intéressé, comprenez une occasion unique de vendre massivement en faisant des profits considérables.

Mais derrière ces considérations financière se cache une stratégie beaucoup plus structurée, qui prend la forme d’un véritable coup de force contre la politique monétaire de la BCE. Cette dernière tente de soutenir l’économie de la zone euro en achetant de la dette pour maintenir les taux d’intérêts au niveaux les plus bas possible, pour soutenir l’activité de financement et la reprise économique, tout en allégeant le bilan des banques.

Quand la finance ne veut plus jouer le jeu

Dans un premier temps, des taux planchers, voire négatifs dans certains cas, ne constituaient pas un réel problème. La BCE étaient prête à racheter à des conditions exceptionnelles, et beaucoup d’intervenants se sont accommodés de cette situation extraordinaire, certains arbitrant entre différents types de dette pour y trouver des sources de profit, malgré la chute générale du rendement qui détermine aussi les marges.

Mais hélas le tableau idyllique s’est subitement brouillé. Ces déclarations de Bill Gross sont aussi l’expression d’un monde financier qui a du tout faire pour faire circuler l’argent (et tenter de faire du profit), alors que l’ensemble des banques centrales font tout pour faire baisser les taux. Une lutte permanente, de long terme, entre 2 types d’intérêts divergents.

La contre-attaque des gestionnaires

Le retour de manivelle est d’autant plus fort que PIMCO, le géant de la gestion co-fondé par Bill Gross, a dû subir une fuite de capitaux sans précédent pendant un an et demi. La politique de rachats d’actifs de la FED à l’époque, a progressivement mis à terre la stratégie de taux du gestionnaire, et a torpillé la valeur de ces fonds. Bill Gross l’avait payé de son fauteuil de patron.

Et du haut de sa nouvelle structure, Janus Capital, il vient de lancer la contre-attaque. Après des années de politique archi-accommodante de la part de FED, hors de question de devoir subir un nouveau cycle similaire du côté de la BCE.

Le secteur bancaire en renfort

Et l’ensemble de la planète financière semble s’être rangé dans le camp de Bill Gross, dans le sens où les intérêts sont finalement les mêmes. Le secteur financier est prêt à jouer le jeu de la BCE et faire circuler l’argent, mais pas au-delà d’une certaine limite. Et cette limite c’est leur capacité à dégager de la rentabilité.

Les banques qui accordent des prêts long terme, notamment pour l’immobilier en ce moment, sont obligé de s’aligner sur des taux longs à 10 ou 30 ans qui atteignaient des plus bas historiques, dont certains même peuvent encore devenir négatifs à terme, une situation ingérable quand il faut garder ce genre d’encours dans son bilan. D’autant plus quand les nouvelles normes comptables Bâle 3 tendent à tempérer ce genre de prises de risque.

Quête d’équilibre

D’où cette volonté commune désormais de vouloir que les taux remontent ! Et cette très forte hausse du rendement de la dette allemande, la plus touchée par les mécanismes actuels. C’est elle qui a été majoritairement été visée par ce mouvement de vente massif. Même la Société Générale et AXA, lors de la publication de leurs résultats cette semaine, se sont ouvertement réjoui de voir les taux remonter un peu.

La balle est donc désormais dans le camp de la BCE. Elle est mise au défi très clairement pas l’ensemble des marchés, en matière de crédibilité. Et l’objectif à terme est de trouver un bon niveau d’équilibre des taux, acceptable pour ceux qui font circuler l’argent, et correspondant aux objectifs de la Banque Centrale pour soutenir l’économie. 

La BCE attendue au tournant

Mais même si cette guerre des nerfs se passe sur quelques points de rendement, si cette volatilité se joue sur des écarts minimes en matière de dette, impossible que la BCE laisse ce genre de coup de mou se reproduire ou entrainer une tendance durable, vu que c’est encore une fois la santé économique de la zone euro qui est en jeu.

C’est pourquoi les prochaines réunions de la BCE vont être des points d’orgues très importants pour juger de la tendance à venir. La prochaine, réunion secondaire concernant la politique monétaire, doit avoir lieu le 20 mai prochain.

Le Casse du Siècle ?

Mais il est clair que soit à cette réunion, soit avant, la BCE devra donner un signal clair face à ce défi qui lui est lancé, et définir des niveaux d’équilibre clairs pour éviter ce que tout le monde redoute à nouveau, un krach obligataire en règle.

Restera tout de même ce mouvement de taux d’une violence spectaculaire, qui demeurera sur les tablettes boursières pendant très longtemps. Et au vu de la stratégie affichée par Bill Gross, notamment sur la dette allemande, et les positions qu’il a dû prendre il y a une semaine et demie, les traders ont sans doute été témoins d’un "Casse du Siècle" sur le marché obligataire ce 7 mai 2015.

Antoine Larigaudrie