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Draghi doit-il faire tourner la planche à billets pour relancer la croissance?

La BCE devrait passer à l'action dès ce jeudi

La BCE devrait passer à l'action dès ce jeudi - Pedro Armestre - AFP

La Banque centrale européenne devrait tenter, dès ce jeudi, de relancer la croissance en injectant des centaines de milliards d'euros dans l'économie. Sa méthode : le rachat des dettes d'Etat. Son modèle : le "quantitative easing" qui a dopé l'économie américaine. Est-ce la bonne méthode ? La réponse avec deux économistes de premier plan.

La Banque centrale européenne s'apprête à franchir le Rubicon. Jeudi 22 janvier, la banque centrale va, sauf improbable surprise, sortir son dernier atout: le "quantitative easing".

Derrière ce terme anglo-saxon, qui s'est imposé dans le jargon financier, se cache une mesure relativement simple: racheter de la dette des Etats membres de la zone euro dans le but de relancer une croissance morose et de favoriser un retour de l'inflation à un niveau qui ne freine plus la consommation.

Cette perspective séduit l'exécutif français. Lundi, François Hollande s'est réjoui de cette action qui "peut créer un mouvement favorable à la croissance". La chancelière allemande est nettement plus circonspecte: "Je n'ai qu'une requête (..) il faut éviter qu'une mesure prise par la BCE, dans quelque domaine que ce soit, se traduise par l'impression que ce qui est nécessaire en matière budgétaire et en matière de compétitivité peut être relégué au second plan", a ainsi déclaré Angela Merkel, dès lundi. 

Au-delà du clivage politique se pose la question de l'efficacité de la mesure. Ce "quantitative easing", considéré comme la dernière cartouche de la BCE peut-il effectivement apporter à l'économie de la zone euro le souffle qui lui manque ? Et le risque pris en vaut-il vraiment la chandelle ? Pour tenter d'y répondre nous avons confronté les points de vues de deux économistes: le français Mathieu Plane, de l'OFCE, et l'allemand Michael Heise, chef des études économiques chez Allianz SE.

Mathieu Plane de l'OFCE (à gauche)  et Michael Heise d'Allianz SE (à droite)
Mathieu Plane de l'OFCE (à gauche) et Michael Heise d'Allianz SE (à droite) © OFCE/Allianz

La BCE doit-elle passer à l’action en annonçant son quantitative easing dès ce jeudi?

Mathieu Plane: “Les ressorts inflationnistes sont actuellement au plus bas. Le chômage est élevé en zone euro, il y a d’importantes surcapacités de production, et de nombreux Etats mènent des politiques de désinflation compétitive en jouant sur le coût du travail. Dans ce contexte, il vaut mieux aujourd'hui agir que de ne rien faire. De ce point de vue, le quantitative easing est une bonne mesure car il s’agit d’un levier pour lutter contre la déflation et restaurer la croissance. C'est, par ailleurs, la dernière cartouche de la BCE”.

Michael Heise: "La situation économique n'est pas si critique et de mon point de vue, elle l’a davantage été en 2009. Il n'est donc pas nécessaire d'activer cette option nucléaire. Certes, la croissance est faible mais elle est en train de s'accélérer. Et les exportations vont augmenter dans les prochains mois. Pour ce qui est de l'inflation, aucun signal ne montre que nous nous dirigons vers une spirale déflationniste d'autant que l'on voit la consommation augmenter et que l'épargne baisse. Nous sommes ainsi dans un processus cyclique”

Cette mesure peut-elle vraiment inciter les banques à octroyer davantage de crédits aux entreprises et aux ménages?

Mathieu Plane: “Cet effet est possible mais il n’est pas assuré. En soutenant les dettes publiques via ces rachats, la Banque centrale européenne peut alléger le fardeau des banques qui détiennent beaucoup de titres de dettes d’Etat. Leur situation financière s’améliorerait donc.Mais il faut ensuite voir si elles vont répercuter cette amélioration au niveau du crédit aux entreprises et aux ménages”.

Michael Heise: “Pour moi le quantitative easing n’est pas efficace. Il faut regarder ce qui s'est passé dans les pays qui y ont eu recours ces dernières années. Il n'a, par exemple, absolument pas porté ses fruits au Japon. Aux Etats-Unis, la Fed a réussi son coup, mais là-bas le système financier repose surtout sur les marchés de capitaux (la bourse et le capital investissement,ndlr) alors qu’en Europe il est principalement basé sur les banques. Or il y a déjà assez de liquidités dans le système financier. En injecter davantage dans le système bancaire n’aura pas d’impact sur l’offre de crédit aux entreprises et au particulier. Le vrai problème vient essentiellement de la demande”.

Et la baisse de l'euro que la BCE vise ?

Mathieu Plane: "Il s'agit de de l’élément le plus fort pour jouer sur les anticipations d'inflation. Il faut que les agents économiques (ménages, entreprises, ndlr) intègrent que cette inflation basse est temporaire et que la Banque centrale européenne va continuer de viser les 2% d’inflation. Et l'instrument du taux de change est le plus efficace pour cela. Si la BCE gonfle son bilan via le quantitative easing, Mario Draghi ayant évoqué un chiffre de 3.000 milliards d’euros, les agents vont anticiper une dépréciation importante de l’euro qui sera ensuite un important levier de croissance et d'inflation. A l'OFCE nous estimons ainsi qu'une baisse de 10% de l'euro par rapport aux autres monnaies permet de gagner 0,5% de croissance supplémentaire. Bercy table sur un chiffre plus élevé de 1,2%. Même en retenant la partie de la fourchette basse c'est fort, puisque cela représente autant que le CICE (Crédit d'impôt compétitivité pour l'emploi)!"

Michael Heise: “Le taux de change est un élément efficace pour soutenir sur la demande. Cela devrait notamment permettre à l’investissement de repartir à la hausse dans le courant de l’année. Mais un euro trop faible n’est pas une bonne chose. Une baisse trop rapide de la monnaie unique crée des perturbations fortes dans la mise en route des projets du secteur privé. Pour planifier dans de bonnes conditions une stratégie, les entreprises ont besoin de repères le plus stables possibles. Il faut ainsi que l’euro reste à un niveau raisonnable, que je situe entre 1,05 et 1,20 dollar”. De plus “si la BCE va trop loin avec cet instrument, elle risque de se contredire (la BCE a plusieurs fois affirmé par le passé que le niveau de l’euro ne figure pas dans son mandat, ndlr)

Que doit faire Mario Draghi ?

Mathieu Plane: On ne sait pas encore exactement ce que le président de la BCE va décider. Toute la complexité est de trouver le bon outil et de savoir ce que la banque centrale doit racheter. Il est, par exemple, possible qu’elle décide de racheter de la dette des Etats au prorata de leur participation dans son capital.

Michael Heise: "Il s’est mis dans une situation où il est obligé d’annoncer quelque chose s'il veut rester crédible et ne pas décevoir les marchés. Je pense toutefois que chacun des banquiers centraux de la zone euro pourra garder des marges de manoeuvres. La BCE pourrait, par exemple, laisser à la Bundesbank et à la Banque de France le soin d’acheter elles-mêmes les titres de dettes qu'elles souhaitent”.

>> Pour mieux comprendre ce qu'est le quantitative easing regardez ce décryptage signé Laure Closier

Julien Marion