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Exil fiscal: Apple 4 fois plus fort que Google

Les Bermudes, paradis fiscal utilisé par de nombreuses multinationales américaines

Les Bermudes, paradis fiscal utilisé par de nombreuses multinationales américaines - Mike Oropeza Wikimedia Commons CC

Les multinationales américaines -Apple en tête- préfèrent faire dormir leurs bénéfices dans des paradis fiscaux, plutôt que de les rapatrier aux Etats-Unis en payant des impôts dessus.

C'est une des particularités du régime fiscal aux Etats-Unis. Les entreprises américaines payent un impôt fédéral de 35% sur les bénéfices réalisés sur leur territoire -auquel s'ajoute l'impôt dû à l'état qui abrite leur siège social. Mais les bénéfices réalisés à l'étranger ne sont pas soumis à l'impôt s'ils ne sont pas rapatriés aux Etats-Unis. Pour échapper au fisc, les multinationales américaines préfèrent donc faire dormir cet argent hors des Etats-Unis, le plus souvent dans des paradis fiscaux. 

Toutefois, ces sommes entassées offshore figurent dans les comptes des sociétés, et sont donc connues. Cela a permis à deux ONG, Citizen for tax justice et US Public interest research group education fund, de dresser un hit parade des sommes ainsi entassées à fin 2014. 

Palmarès de la honte

En tête de ce palmarès de la honte figure Apple, qui détient ainsi 181 milliards de dollars offshore. A titre de comparaison, le budget 2016 de la France prévoit que l'impôt sur les bénéfices rapportera la modeste somme de 33 milliards d'euros... La firme de Cupertino arrive assez loin devant le second, General Electric, avec 119 milliards de dollars. Le hit parade (cf ci-dessous) contient de nombreuses entreprises high tech: Microsoft, IBM, Cisco, Google, HP, Oracle, Qualcomm et Intel.

Au total, les 500 plus grandes entreprises américaines, selon le classement de Fortune, détiennent ainsi offshore 2,1 milliards de milliards de dollars à fin 2014. Une étude d'Audit Analytics portant sur les 1.000 plus grandes entreprises selon le classement de Russel aboutissait à un chiffre similaire: 2,3 milliards de milliards de dollars, un chiffre qui a doublé depuis 2008.

Montage d'optimisation fiscale

L'étude montre aussi que ces multinationales ont mis en place des montages d'optimisation fiscale qui leur permettent de ne quasiment pas payer d'impôt sur les bénéfices hors des Etats-Unis. La moyenne est de seulement 6% d'impôt, et c'est même bien moins pour Apple (2,3%), Microsoft (3,1%) ou Oracle (4%). Ces montages utilisent les niches fiscales des pays où sont vendus les produits (comme la France) pour envoyer les profits dans des paradis fiscaux où l'impôt est nul.

En pratique, l'argent n'est même pas physiquement stocké dans une île paradisiaque, mais dans des comptes de banques américaines. Une étude du Sénat américain a montré que plus de la moitié de ces fonds offshore était en réalité investie dans des banques américaines, ou des obligations du Trésor. Chez Microsoft, 93% des 108 milliards de dollars offshore sont en réalité investis dans des actifs américains comme des bons du Trésor, à en croire le Wall Street Journal

Vous ne l'emporterez pas au paradis

Reste que cette situation n'est pas idéale pour les multinationales. Facialement, elles affichent à leur bilan des trésoreries plantureuses: par exemple, 178 milliards de dollars pour Apple à fin 2014. Mais en réalité, une importante partie est coincée offshore, et ne peut être investie directement aux Etats-Unis, ni utilisé pour des dividendes ou des rachats d'actions... En pratique, cet argent peut donc être utilisé pour faire des acquisitions à l'étranger, comme Nokia ou Skype pour Microsoft. Il peut aussi servir de garantie pour emprunter peu cher, ce que fait Apple depuis quelques années avec des émissions obligataires. Soit l'ultime paradoxe: une société avec une trésorerie monstrueuse se retrouve contrainte d'emprunter...

Les multinationales américaines militent donc auprès de Washington pour faire sauter cette règle, au moins pendant une brève période de temps permettant de rapatrier ces milliards. En 2004, George W. Bush, magnanime, avait accordé un tel tax holiday, où les profits rapatriés furent taxés à seulement 5,25%, au lieu de 35%. Cela a permis de rapatrier 360 milliards de dollars, dont 16 milliards pour HP; IBM 12 milliards; Intel 7,6 milliards; Oracle 3,3 milliards; et Microsoft 1 milliard.

Depuis, les entreprises américaines militent pour une mesure similaire. Début 2015, Barack Obama a proposé -mais sans aboutir- de rapatrier cet argent en le taxant à 14%. En face, les élus républicains proposent des taux bien inférieurs (8,75%, 6,5%....). 

"En attendant, ce sont les Américains ordinaires qui payent la différence. Chaque dollar d'impôt que les entreprises évitent de payer doit être compensé par des impôts plus élevés sur les ménages, une dette publique plus lourde, ou des coupes dans les services publics", concluent les deux ONG.

Trésorerie détenue hors des Etats-Unis (en milliards de dollars)

Apple: 181,1
General Electric: 119
Microsoft: 108
Pfizer: 74
IBM: 61,4
Merck: 60
Johnson & Johnson: 53,4
Cisco: 52,7
Exxon: 51
Google: 47,4
Procter & Gamble: 45
Citigroup: 43,8
HP: 42,9
Oracle: 38
PepsiCo: 37,8
Chevron: 35,7
Coca Cola: 33,3

Source: CTJ, US PIRG

Jamal Henni