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Lutte contre la fraude fiscale: l'inquiétant aveu de l'argentier d'Athènes

Tryfon Alexiadis a pris ses fonctions le 17 juillet dernier

Tryfon Alexiadis a pris ses fonctions le 17 juillet dernier - Angelos Tzortsinis - AFP

Le ministre adjoint des Finances en charge de la fiscalité dresse un état des lieux alarmants du système grec de collecte des impôts dans une interview au Monde. Sans langue de bois.

C'est l'un des plus importants maux dont souffre l'économie grecque: l'évasion fiscale. La lutte contre ce fléau a d'ailleurs été placée en tête des priorités de l'équipe d'Alexis Tsipras. Une tâche qui s'avère on ne peut plus ardue.

En témoigne les déclarations du ministre adjoint grec des Finances en charge de la fiscalité Tryphon Alexiadis au Monde, ce lundi 17 août. L'ancien président de la fédération des contrôleurs des impôts de l'Attique souligne ainsi combien la défiance vis-à-vis de l'administration fiscale est ancrée dans la culture et l'histoire grecques.

"Les Grecs ont longtemps eu une relation de sujets à tyran avec l’Etat. Cela laisse des traces. Un exemple : l’impôt sur la propriété immobilière, instauré en 2011 et prélevé avec les factures d’électricité, était surnommé 'Charatsi' dans le pays. Ce mot vient de l’expression turque 'Haraç', qui désignait la taxe imposée par l’Empire ottoman [aux non-musulmans]", explique-t-il.

Voilà ce qui, selon lui, a poussé l'Etat grec à systématiquement mettre la poussière sous le tapis: " Ces quarante dernières années, aucun gouvernement n’a manifesté la volonté de s’attaquer au problème. Il faut dire que le système en place était un cocktail de fraude, de corruption et de relations incestueuses entre les élites politiques et économiques".

Des moyens limités

Tryphon Alexiadis n'épargne pas les créanciers de la Grèce, qui, à l'en croire, ont leur part de responsabilité dans l'inaction de ses prédécesseurs: "En 2010, le premier plan d’aide exigeait l’instauration d’un impôt de 20% sur les revenus publicitaires des chaînes de télévision privées. Mais, sous la pression de ces dernières, le Parlement a voté, tous les ans, un amendement pour décaler d’un an son application. Cela a duré jusqu’à notre arrivée. Pourquoi la 'troïka' [Commission et Banque centrale européennes et Fonds monétaire international], complice par sa passivité, s’est-elle montrée inflexible sur la baisse des retraites et non sur cette taxe-là ? A l’époque, j’ai soulevé la question lors d’une émission télévisée. On a cessé de m’inviter", révèle-t-il.

Autre constat accablant: le manque de moyens de l'administration grecque. Selon le ministre adjoint des Finances, qui cite des chiffres de l'Iota (l'organisation intra européenne de l'administration fiscale), la Grèce dispose d'un agent du fisc pour 1.196 habitants, contre 938 en France et 740 en Allemagne.

7 milliards d'euros à récupérer

"En outre, une grande partie des archives sont encore sur papier. Notre équipement est archaïque. Un nombre considérable de procédures ne sont pas encore informatisées. En cas de transaction immobilière, c’est à l’acheteur lui-même d’aller déposer au fisc le dossier validé par le notaire!", relate Tryphon Alexiadis.

Et ce dernier d'enfoncer le clou "de même, alors que la Grèce est la porte d’entrée européenne des produits importés de Turquie, nos douanes n’ont pas de camions scanners permettant de vérifier les marchandises. Même les douanes albanaises et bulgares sont mieux équipées".

Les efforts à accomplir en vaudraient toutefois la chandelle. "En améliorant la lutte contre la fraude fiscale, nous pourrions récupérer 7 milliards d’euros supplémentaires chaque année, soit 70 milliards sur dix ans : presque l’équivalent du nouveau programme d’aide", assure le ministre adjoint des Finances.

J.M.