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L’Allemagne au secours financier de la Turquie ?

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- - Bernd Von Jutrczenka / POOL / AFP

La monnaie turque perd plus de 10% face au dollar depuis lundi. Des hypothèses de soutien européen sont avancées. Mais avec quelle consistance ?

Une nouvelle autour de la Banque centrale, à peu près anodine en temps normal, a provoqué des dégagements massifs sur la livre turque. C’est le changement de poste d’un haut responsable de l’institution, parti diriger un établissement public, qui a entraîné jeudi une dépréciation de près de 5%.

A Ankara, on a beau assuré qu’il s’agit là d’un simple mouvement administratif qui n’a rien à voir avec la politique monétaire, la défiance des marchés financiers est devenue telle que l’explication n’apparaît plus audible. Chacun a à l’esprit les très fortes pressions récurrentes du chef de l’Etat Recep Tayyip Erdogan pour que la Banque centrale ne relève pas ses taux d’intérêt. En Turquie, la question se pose de plus en plus : que peut, que veut faire maintenant l’Union européenne – plus précisément l’Allemagne – pour contribuer à arrêter cet engrenage ?

La piste, qui a surgi en début de semaine dans le Wall Street Journal, d’une assistance financière d’urgence a aussitôt été écartée par différentes sources gouvernementales allemandes. Pourtant, la chancellerie à Berlin ne se montre plus aussi catégorique. Et c’est l’agence de presse publique turque Anadolu qui souligne qu’une porte-parole de la chancelière Angela Merkel « ne confirme ni ne dément » les informations de presse sur cet éventuel appui. Elle déclare, rapporte aussi Anadolu, que son gouvernement juge de « l’intérêt » de l’Allemagne une Turquie « stable, prospère et démocratique ».

La suite des événements

Les 28 et 29 septembre, le président Erdogan sera reçu à Berlin. La semaine auparavant, son ministre des Finances aura fait le voyage afin de préparer les discussions. Le ministre allemand des Affaires étrangères va se rendre en Turquie dans les jours qui viennent. Il devrait être reçu avec un égard particulier : on relève à Ankara avec satisfaction que le chef de la diplomatie allemande vient de « critiquer la politique de pression économique du président américain envers la Turquie ».

Le grand quotidien pro-gouvernemental Sabah soutient qu’il faudrait même remercier Donald Trump de permettre ainsi la recherche de « nouvelles alternatives » pour le renforcement des liens économiques avec l’Union européenne. Le journal d’Istanbul juge « essentiel » de résoudre les différends avec Berlin. L’agence Anadolu met en exergue, pour sa part, que l’Allemagne est le principal partenaire économique et commercial de la Turquie, avec près de 38 milliards d’euros d’échanges annuels et plus de 7 500 entreprises allemandes actives sur le territoire turc.

Un appui allemand sous quelle forme ?

Ceci posé, il faudrait qu’un appui aux Turcs puisse passer l’obstacle de l’hostilité de l’opinion publique allemande : 72 % des personnes interrogées la semaine dernière dans un sondage de Deutschlandtrend se déclarent opposées à une quelconque aide financière à la Turquie. Si le gouvernement et le parlement allemands passent outre, il reste encore à en déterminer les instruments.

Pour espérer une réelle efficacité, un économiste établit un rapprochement avec le plan de sauvetage du Fonds monétaire international pour l’Argentine, où 50 milliards de dollars sont engagés, sachant que la taille de l’économie argentine est ¼ inférieure à la turque. Des lignes de crédit entre Berlin et Ankara paraissent encore inconcevables et les outils européens, insuffisants. Il existe un dispositif de l’UE pour les partenaires non-européens, l’assistance macro-financière.

Demeure une limite : ses volumes d’interventions se comptent en centaines de millions d’euros, pas vraiment en milliards. Une combinaison de crédits de la Banque européenne d’investissement (BEI) et de la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD) est également évoquée.

Mais, à Berlin, on considère que de toute façon Ankara va devoir recourir au préalable au FMI et déterminer une réorientation nette de ses politiques publiques. Ce à quoi n’est pas encore disposé l’Etat turc, qui pense que les Européens finiront bien par comprendre que la dimension de son économie et son importance géopolitique ne peuvent que lui valoir un traitement différencié. Un centre de réflexion économique à Bruxelles prévient, dès lors, que l’UE va devoir effectuer un choix essentiel dans la clarté : utiliser cette assistance financière pour promouvoir sa conception des valeurs démocratiques ou bien adopter une « approche fonctionnelle » et limiter les conditions de son aide à des politiques macro-économiques spécifiques.

Benaouda ABDEDDAIM