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L'économie turque sonnée par le revers d'Erdogan

La Bourse turque a chuté ce lundi, au lendemain du revers essuyé par le parti islamo-conservateur au pouvoir.

La Bourse turque a chuté ce lundi, au lendemain du revers essuyé par le parti islamo-conservateur au pouvoir. - MUSTAFA OZER - AFP

Au lendemain des élections législatives en Turquie et du sérieux revers essuyé par le parti islamo-conservateur au pouvoir, la monnaie turque s'effondre, et la Bourse d'Istanbul chute ce 8 juin.

L'économie turque s'est réveillée groggy au lendemain des élections législatives. Le sérieux revers essuyé par le parti islamo-conservateur au pouvoir depuis 2002, qui reste en tête mais perd sa majorité, n'a apparemment pas plu aux investisseurs. La Bourse d'Istanbul chutait de 6% à l'ouverture ce 8 juin, et la monnaie s'est effondré à un niveau tel que la Banque centrale du pays a annoncé ce lundi qu'elle allait agir sur le marché des changes.

La devise turque a touché un nouveau plus bas historique face au dollar et à l'euro: son cours a perdu environ 4% entre dimanche et lundi. En réaction, la banque centrale de Turquie a annoncé baisser ses taux appliqués aux dépôts en devises à une semaine. Ils passeront mardi de 4% à 3,5% pour le billet vert et de 2% à 1,5% pour l'euro, a indiqué l'institution monétaire.

Cet effondrement de la livre turque a été immédiatement consécutif à l'annonce du résultat des élections législatives qui se tenaient dimanche dans le pays. Le parti du président turc, Recep Tayyip Erdogan, a réalisé une sérieuse contre-performance en perdant sa majorité absolue détenue depuis treize ans au Parlement. Une victoire très relative, qui enterre de fait ses espoirs de renforcer son règne sans partage sur le pays.

Des marchés allergiques au flou

Selon les résultats définitifs, le Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) est arrivé sans surprise en tête du scrutin, mais n'a recueilli que 40,7% des suffrages et 258 sièges de députés sur 550. Un score qui le contraint pour la première fois à former un gouvernement de coalition.

Autre première dans le paysage politique turc, le parti kurde HDP (Parti démocratique du peuple) a largement franchi la barre des 10% imposée aux partis pour obtenir un siège sur les bancs du Parlement. Avec 13% des voix, il en obtient 79. "Depuis 2011, Erdogan a clivé la société et s'est aliéné une partie de la population. Le parti kurde s'est servi de cela pour devenir le parti des minorités. Pas seulement kurde mais aussi les féministes, les homosexuels, etc. En outre, une partie des Kurdes qui votent conservateur ont cette fois voté pour HDP", explique Sylvain Bellefontaine, économiste chez BNP Paribas. 

Faut-il déduire de la chute de la monnaie et de la Bourse que les marchés sont pro-conservateurs? "Les investisseurs aiment la stabilité et la visibilité", nuance Sylvain Bellefontaine. "Comme Erdogan était au pouvoir depuis longtemps, ils savaient à quoi s'attendre. Les marchés ne sont pas partisans, seulement "froids et pragmatiques", souligne-t-il. Aujourd'hui, ils sont dans le doute".

Un climat d'incertitude pour plusieurs mois

L'incertitude résulte de la nécessité de former une coalition pour pouvoir gouverner. Les deux autres principaux concurrents du parti au pouvoir, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) et le Parti de l'action nationaliste (MHP, droite), ont chacun obtenu 25,1% et 16,4% des voix. "Est-ce que l'AKP va former un binôme avec le parti kurde? Le parti nationaliste? Est-ce qu'un attelage improbable avec les nationalistes et les sociaux-démocrates peut fonctionner?", voici les questions que se posent les observateurs, selon Sylvain Bellfontaine.

Un climat de doute parti pour durer: "Erdogan a trois mois pour appeler à de nouvelles élections. Ensuite, le Parlement a trois mois pour le faire. Donc l'instabilité pourrait durer jusqu'à six mois, voire plus si nouvelles élections se tenaient, et que leur résultat n'était pas davantage probant", prévient l'économiste.

Premier ministre à poigne pendant onze ans, réélu haut-la-main président en août dernier, Recep Tayyip Erdogan misait sur ce scrutin pour obtenir une majorité lui permettant de changer la Constitution pour renforcer son pouvoir. Le résultat des élections montre bien que les Turcs ne veulent pas lui laisser les coudées franches. Peut-être une bonne nouvelle pour la démocratie. Mais sur le front de l'économie, les analystes s'attendent à une forte volatilité de la monnaie et des valeurs, au moins pour quelques mois.

Nina Godart avec AFP