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L’Italie va rejoindre les nouvelles routes de la soie

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Alors que l’Etat italien décide de reporter sa décision sur la ligne à grande vitesse Lyon-Turin, il compte adhérer à l’initiative « Ceinture et Route », l’immense plan d’infrastructures de la Chine vers l’Ouest.

Dans dix jours, le chef de l’Etat chinois arrive à Rome. Xi Jinping va signer avec le président du conseil italien Giuseppe Conte un protocole d’accord devant intégrer l’Italie aux « nouvelles routes de la soie ». Quelque 70 industriels seront aussi du voyage, les principaux chargés du ferroviaire, de l’ingénierie et de l’hydroélectrique. Le site bruxellois Euractiv a obtenu copie d’un document préparatoire où est identifié le point d’entrée stratégique : le port de Trieste, sur la mer Adriatique et aux portes des Balkans, relié par le chemin de fer au centre et au nord de l’Europe. Un schéma de coopération entre les réseaux d’infrastructure électrique des deux pays sera également établi.

Accueillir à bord de ce grand dessein chinois, pour la première fois, un membre du G7 et fondateur de l’Union européenne (UE), relève de la prise géopolitique pour Pékin. Mais s’en tenir à cette seule analyse serait réducteur. Le correspondant en Chine du « Corriere della Sera », le grand quotidien milanais, souligne que les planificateurs chinois visent un changement du modèle financier national, auquel ce partenariat avec Rome peut contribuer.

Les dirigeants de Sinosure, l’assureur-crédit chinois à l’exportation, seront de la visite présidentielle, dans la perspective d’un « apprentissage pour trouver un financement international crédible et durable », d’après une source citée. L’article explique aussi que les groupes industriels italiens, « historiquement capables de travailler dans les pays (…) instables », pourraient permettre à l’initiative « Ceinture et Route » de s’ouvrir des lignes de crédit internationales auxquels les Chinois n’ont pas encore accès.

Obstacles intérieurs et extérieurs

Les promoteurs italiens de cette coopération récusent l’idée que Pékin veuille s’offrir ainsi l’une des plus importantes garanties globales parmi les économies avancées. Luigi Di Maio, le chef du Mouvement 5 étoiles et ministre du Développement économique, soutient qu’il s’agit d’abord de mieux répondre à la demande d’une Chine « avide de produits et de savoir-faire made in Italy ».

C’est dans cette optique exportatrice que le président Conte va se rendre au forum « Ceinture et Route », qui se déroule fin avril dans la capitale chinoise. D’ici là, il lui faudra lever les objections qui ont surgi au sein de sa majorité et au scepticisme du ministère des Affaires étrangères, relégué au second plan dans la négociation. Le numéro 2 de la diplomatie, un élu de la Ligue du vice-président du Conseil Matteo Salvini, déclare « partager les préoccupations » exprimées par Washington. Il juge nécessaire « un examen plus approfondi » du protocole d’accord avec Pékin, répondant en cela au porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche qui considère que l’Italie va « donner une légitimité à l’approche prédactrice de la Chine en matière d’investissement ».

Sauf que les Américains ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes, si l’on suit le raisonnement de Fabio Di Nunno, un spécialiste italien de relations internationales basé à Bruxelles, d’après qui les Etats-Unis se sont « désintéressés du sort de l’Europe et de l’Afrique, laissant ainsi la libre initiative » à la Chine. Fort de ce type de conviction, le ministère chinois des Affaires étrangères fait savoir que l’Italie « une économie développée, sait très bien où se trouvent ses intérêts et est parfaitement capable de prendre ses propres décisions ».

« Hypocrisie » de l’Allemagne et de la France

Les réticences de l’exécutif européen s’expriment de manière moins abrupte que celle de l’administration américaine. Une porte-parole de la Commission européenne prévient que dans tout accord de ce genre, il doit exister la « responsabilité d’assurer la cohérence avec les règles et les politiques de l’UE », ajoutant que « ni l’Union ni aucun Etat membre ne peuvent atteindre efficacement leurs objectifs avec la Chine sans une pleine unité ».

Le « Global Times », titre à vocation internationale du Parti communiste chinois, a ouvert ses colonnes au géographe italien Fabio Massimo Parenti formulant une riposte. Ce professeur de l’Institut international Lorenzo de Medici (Florence) demande pourquoi son pays devrait « perdre l’occasion de relier son territoire et ses ports aux projets chinois », alors que le « bassin méditerranéen est en train de reprendre de l’importance dans la nouvelle géographie du commerce », l’Europe du Nord craignant surtout que les ports de la Méditerranée puissent leur prendre des parts de marché.

Les critiques d’une UE « dirigée par l’Allemagne et la France » sont qualifiées « d’hypocrites » par cet universitaire, selon qui Berlin et Paris « travaillent avec la Chine à une plus grande échelle » que Rome. L’un et l’autre n’ont pas adhéré à l’initiative « Ceinture et Route », tout en ayant très vite rejoint le tour de table de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, institution fondée par Pékin. Rome peut considérer aller au bout de leur logique.