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Le Japon s'affranchit de la Chine en découvrant un immense gisement de terres rares

Une raffinerie de terre rare en Chine.

Une raffinerie de terre rare en Chine. - Ed Jones - AFP

L'Archipel ne s'avoue pas vaincu dans la course mondiale aux terres rares. Alors que la Chine possède la majeure partie des gisements mondiaux de ces minerais indispensables à l'industrie, le Japon vient d'en découvrir un énorme sur son sol.

L'identification par le Japon d'un gisement massif de terres rares témoigne des efforts de l'archipel, deuxième consommateur mondial de ces minéraux stratégiques, pour réduire sa dépendance envers la Chine sur fond de demande croissante et de hausse des prix.

Des scientifiques japonais ont dévoilé cette semaine que des gisements localisés au fond de l'océan Pacifique dans sa zone économique exclusive (ZEE) pourraient contenir plus de 16 millions de tonnes de terres rares, de quoi, selon eux, couvrir plusieurs siècles de besoins mondiaux.

Un marché ultra-stratégique contrôlé par la Chine

Les terres rares sont un groupe de 17 éléments métalliques devenus incontournables dans la fabrication de produits de haute technologie, comme les éoliennes, les smartphones ou les moteurs électriques. Actuellement le Japon dépend grandement de la Chine, qui concentre 90% de la production (environ 150.000 tonnes en 2016) et contrôle donc ce marché ultra-stratégique.

En 2011, le géant asiatique avait provoqué une flambée momentanée des prix et une véritable crise sur le marché mondial en appliquant des quotas à l'exportation.

Si ces quotas n'existent plus, le marché s'est de nouveau tendu l'an dernier et les prix ont bondi, quoique bien moins qu'en 2011. Car d'un côté la Chine a limité sa production et lutté contre les mines illégales, et de l'autre, les annonces se sont multipliées en faveur des véhicules électriques et du développement des énergies renouvelables, très consommateurs de terres rares.

Des gisements à la compétitivité aléatoire

Face à cette situation, de nombreux pays tentent de s'émanciper de la domination chinoise. Hors de Chine, 38 projets sont à des stades de développement divers, selon une évaluation du cabinet spécialisé Adamas Intelligence.

L'archipel nippon ne fait pas exception, notamment en investissant dans des gisements dans le monde. L'organisme public dédié aux matières premières Jogmec et le groupe Sojitz ont par exemple financé le groupe minier australien Lynas, premier producteur non chinois, en échange d'une partie de sa production.

Le pays développe aussi le recyclage des produits contenant des terres rares pour récupérer les précieux minéraux. "Les Japonais sont déjà un acteur de poids sur ce marché et cherchent par de nombreux moyens à s'affranchir de toute dépendance à des approvisionnements chinois", confirme Gaétan Lefebvre, expert au Bureau français de recherches géologiques et minières.

Le Japon "doit se préparer à l'éventualité que les prix repartent à la hausse", ce qui pourrait alors rendre les gisements sous-marins compétitifs, et "contribuer à la sécurité d'approvisionnement du Japon", explique Yutaro Takaya, chercheur de l'Université de Waseda, et contributeur de l'étude dévoilée cette semaine.

Le gisement japonais encore loin d'être exploitable

L'estimation de ces ressources est en effet "impressionnante", observe Ryan Castilloux, directeur du cabinet Adamas Intelligence. Les scientifiques ont évalué que la quantité présente de dysprosium, un élément utilisé par exemple dans les aimants permanents, représentait 730 années de consommation mondiale, tandis que les réserves d'yttrium, entrant dans la fabrication des lasers, étaient susceptibles de combler les besoins de l'industrie pendant 780 années.

Mais le gisement japonais, bien que prometteur, est encore loin d'être exploitable, sans parler des enjeux environnementaux, soulignent les experts. "Il faudra encore plusieurs années pour déterminer si une exploitation est faisable", note Ryan Castilloux.

"Rien ne dit que la totalité du gisement pourra être extraite de manière économique" et "de façon compétitive par rapport aux gisements terrestres", en particulier chinois, juge Mark Hannington, géologue au Geomar (Helmholtz Centre for Ocean Research) de Kiel en Allemagne.

Aucune technique rentable

Actuellement, aucune technique rentable n'existe pour exploiter ce type de gisement, situé à de si grandes profondeurs (plus de 5000 mètres). "Seuls des projets pilotes ont été réalisés", précise-t-il. Et étant donné la faible concentration des terres rares, inférieure à 1% des boues sous-marines, "cela veut dire que pour récupérer 1000 tonnes d'oxyde de terre rare, il faudrait traiter 1 million de tonnes de boues", explique Ryan Castilloux.

"Il existe des millions et des millions de tonnes de terres rares dans d'autres gisements terrestres déjà identifiés qui, selon moi, sont des options plus attractives", estime-t-il.

"Le travail doit se poursuivre pour développer des moyens de ramener ces boues à la surface", reconnaît Yutaro Takaya. Les chercheurs espèrent y parvenir "d'ici cinq ans", selon lui, même s'il admet que "le coût sera un défi".

L'an dernier, l'Institut d'études géologiques des États-Unis évaluait à 120 millions de tonnes les réserves de terres rares dans le monde, dont 44 millions en Chine, 22 millions au Brésil, et 18 millions en Russie.

N.G. avec AFP