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Le petro, l'illusoire crypto-monnaie du Venezuela

Le président vénézuélien Nicolás Maduro lors du lancement du petro mercredi.

Le président vénézuélien Nicolás Maduro lors du lancement du petro mercredi. - Federico Parra / AFP

Traversé par une grave crise économique, le Venezuela a lancé mercredi sa crypto-monnaie, le petro, dans l'espoir de trouver des financements. Pour Christophe Destais, directeur adjoint du CEPII, "l’idée que le Venezuela puisse susciter la confiance d’investisseurs internationaux qui accepteraient d’échanger leurs dollars et leurs euros contre du petro est assez baroque".

La démarche est inédite, jamais une crypto-monnaie n’avait été créée à l’échelle d’un État. Le gouvernement vénézuélien l’a fait mercredi en lançant le petro. Caracas espère profiter du phénomène bitcoin pour sortir son pays d’une crise économique et sociale sans précédent.

Au Venezuela, l’économie repose quasi exclusivement sur sa manne pétrolière. La chute du prix du baril a fait plonger l’activité et exploser l’inflation à plus de 1000%. À cela s’ajoute une crise politique et des sanctions internationales. Dos au mur, l’État espère lever six milliards de dollars de financement grâce au petro.

Depuis mercredi, Caracas assure avoir reçu pour un milliard de dollars d’intentions d’achats. Pour attirer les investisseurs, le gouvernement a choisi d’adosser sa crypto-monnaie à ses réserves pétrolières. Cela sera-t-il suffisant? Directeur adjoint du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), Christophe Destais n'en est pas vraiment convaincu.

Christophe Destais, directeur adjoint du CEPII.
Christophe Destais, directeur adjoint du CEPII. © DR

Quelle est l’utilité pour le Venezuela de créer une crypto-monnaie?

Christophe Destais: Le Venezuela est confronté à une crise politique et économique très sévère. En dépit de la récente remontée des prix du pétrole, ses recettes d’exportations restent très faibles et il a perdu l’accès aux marchés financiers internationaux et même aux financements des pays qui, comme la Chine, avaient accepté de lui accorder des prêts gagés sur ses réserves pétrolières. Le pays est également visé par des sanctions américaines qui rendent plus difficiles, voire impossibles, les transactions en dollars. Dans ces conditions, l’annonce par le président Maduro de la création d’une crypto-monnaie apparaît comme une diversion de plus dans une situation interne de plus en plus désespérée.

Quand il y a une telle défiance vis-à-vis de la monnaie il faut créer un choc. C’est déjà arrivé dans l’histoire comme durant la période d’hyperinflation des années 1920, en Allemagne. Mais au Venezuela, les causes de l'inflation ne sont pas seulement monétaires: les circuits de production et de distribution sont inexistants ou désorganisés, la rente pétrolière a tué l'entrepreneuriat local, etc. L’idée que le Venezuela puisse susciter la confiance d’investisseurs internationaux qui accepteraient d’échanger leurs dollars et leurs euros contre du petro est assez baroque.

La monnaie repose sur la confiance, or les États-Unis ont déjà interdit à leurs citoyens et leurs entreprises d’acheter du petro, l’Assemblée vénézuélienne veut le déclarer illégal… Comment attirer des investisseurs dans ces conditions ?

C.D. : Le problème est que Monsieur Maduro surfe sur la vague des crypto-monnaies sans donner des détails suffisants pour rendre le petro crédible aux yeux des acteurs économiques internationaux, même aux yeux de ceux qui ne sont pas très amis avec les États-Unis.

Les conditions du produit manquent de clarté. Admettons que le petro soit clairement adossé à des ressources en pétrole, il faudrait que ces ressources soient mobilisables. Le Venezuela a des réserves pétrolières considérables, mais l’État s’est fait massivement financer par la Chine et Russie en échange de ressources pétrolières. Sachant que la compagnie pétrolière a vu sa production chuter de 29% l’an dernier et que son pétrole est difficile à exploiter, on peut se poser la question de la crédibilité des garanties de cette crypto-monnaie. Est-ce que le Venezuela pourra produire suffisamment de pétrole pour payer la totalité de ses importations (il n’exporte pratiquement rien d’autre), payer ses dettes et honorer cette nouvelle monnaie?

Et puis, qui va faire confiance à Monsieur Maduro pour que cette nouvelle monnaie soit correctement gérée sur le plan technique et sur le contrôle de la création monétaire? Le pays est en quasi-défaut aujourd’hui. Monsieur Maduro crée cet actif concurrent du dollar et de l’euro pour les transactions internationales, parce qu’il espère qu’il sera utilisé à l’étranger. Mais c’est déjà ce que font les gens avec les bitcoins ou les autres monnaies cryptées. Quel intérêt d’utiliser le petro plutôt qu’une des monnaies cryptées existantes, ou qu’une monnaie garantie par un système public?

Pour les transactions internationales le pari semble compliqué, mais sur le plan domestique, quels avantages en tirent les Vénézuéliens?

C.D. : Les Vénézuéliens utiliseront une monnaie d’échange peut-être un peu plus stable que le bolivar. Au mieux, cela pourrait contribuer à réduire l’inflation. En revanche, il faut que ce soit un changement radical si on veut en voir les pleins effets. Il faut substituer complètement la nouvelle monnaie à l’ancienne.

La manœuvre n’est pas facile. Il faut convaincre les Vénézuéliens de préférer le petro à d’autres devises. Aujourd’hui, ils veulent à tout prix se débarrasser de leur cash et avoir des dollars, voire une monnaie d’un pays voisin. Le petro pourrait peut-être, si son introduction était correctement gérée, permettre de ramener dans l’économie vénézuélienne une partie des encaisses des citoyens.

Le cours du bitcoin a pris 300% avant d’en perdre 50% en seulement quelques mois, faut-il s’attendre à une forte volatilité du petro ?

C.D. : Puisque la valeur du petro doit varier avec le prix d’une matière première, elle devrait, en toute logique, être moins volatile que celle du bitcoin. Ce n’est pas parce que c’est une crypto-monnaie, que c’est complètement comparable au bitcoin.

Le mode de production est différent: le cours du petro est aligné sur celui du pétrole, alors que celui du bitcoin dépend d’une problématique d’offre et de demande. Les réserves en bitcoins sont limitées, d’ici 2020 la quantité en circulation sera à peu près équivalente au total qu’il est possible de créer. Les réserves en pétrole sont bien supérieures.

Par ailleurs, la promesse derrière la crypto-monnaie n’est pas la même. Pour le bitcoin, le discours est: "ayez confiance car le pouvoir de création échappe à des institutions privées et publiques". Il est vendu comme un actif aussi solide que l’or. Le discours du petro c’est: "j’ai beaucoup de réserves de pétrole, j’indexe ma monnaie sur le prix du baril et je pourrai toujours échanger les actifs monétaires contre du pétrole".

D'autres pays envisagent de lancer leur crypto-monnaie, comme la Russie avec le "crypto-rouble", entre-t-on dans une nouvelle ère ?

C.D. : Depuis longtemps, la monnaie n’est plus liée au stock d’or, elle n’est plus qu’une simple écriture de compte réalisée de manière virtuelle. Quelque part, on est déjà dans le monde des crypto-monnaies. À la différence du dollar ou de l’euro, le bitcoin n’est pas contrôlé par une banque centrale, et il dépend d’une technologie appelée blockchain (chaîne de blocs en français).

Les institutions monétaires s’intéressent au potentiel et aux limites de cette technologie, pour garder le contrôle sur l’émission de monnaie et la faire évoluer.

L’un des inconvénients majeurs est le coût énergétique. La validation des transactions en crypto-monnaie sollicite beaucoup les serveurs, ce qui est très énergivore. En revanche, la blockchain apporte des avantages en terme de traçabilité des transactions et pourrait se développer pour les autres produits financiers.

Propos recueillis par Jean-Christophe Catalon