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Les inégalités ont augmenté depuis 1980 mais la pauvreté a fortement reculé

Des touristes chinoises en Inde au Temple d'Or d'Amritsar, haut lieu de la religion sikh.

Des touristes chinoises en Inde au Temple d'Or d'Amritsar, haut lieu de la religion sikh. - NARINDER NANU / AFP

Selon un nouveau rapport piloté par la Paris school of economics, les inégalités de revenu se sont fortement creusées dans le monde depuis 40 ans. Mais dans le même temps, la pauvreté a fortement reculé selon la Banque mondiale.

De plus en plus de riches très riches et une inégale répartition de la croissance mondiale, des revenus et du patrimoine. Si le fait est connu, une nouvelle étude pilotée par plusieurs économistes vient apporter un éclairage nouveau en détaillant l'évolution de ces inégalités par régions.

Europe, Afrique, Asie ou continent américain: "Les inégalités ont augmenté dans presque toutes les régions du monde", assure ce "rapport sur les inégalités mondiales" diffusé jeudi et qui compare de façon inédite la répartition des richesses au niveau mondial et son évolution depuis près de quatre décennies.

Ce phénomène s'est cependant développé "à des rythmes différents" selon les régions, précisent les chercheurs, qui font état d'une forte hausse des inégalités aux États-Unis mais aussi en Chine et en Russie, pays dont les économies se sont fortement libéralisées au cours des années 1990.

Brésil, Inde, Moyen-Orient les plus inégalitaires

Selon le rapport piloté notamment par Lucas Chancel, de la Paris school of economics, et Thomas Piketty, auteur du best-seller "Le Capital au XXIe siècle", la part du revenu national allant aux 10% des contribuables les plus aisés est passée de 21% à 46% en Russie et de 27% à 41% en Chine entre 1980 et 2016.

Aux États-Unis et au Canada, ce taux est passé de 34% à 47%, tandis que l'Europe a connu une hausse "plus modérée" (de 33% à 37%). "Au Moyen-Orient, en Afrique sub-saharienne et au Brésil, les inégalités sont restées relativement stables", mais "à des niveaux très élevés", précise le rapport.

En 2016, le podium des régions et pays les plus inégalitaires était composé du Brésil (55% du revenu national détenus par les 1% les plus aisés), l'Inde (55%) et le Moyen-Orient (61%), qui dessine selon les auteurs un "horizon d'inégalités" à l'échelle mondiale.

En termes d'évolution, la divergence est par ailleurs "extrême entre l'Europe de l'Ouest et les États-Unis, qui avaient des niveaux d'inégalités comparables en 1980, mais se trouvent aujourd'hui dans des situations radicalement différentes", souligne le document, réalisé avec l'aide d'une centaine de chercheurs de 70 pays.

"Inégalité considérable en matière d'éducation"

En 1980, la part du revenu national revenant aux 50% de contribuables les plus pauvres était en effet quasiment identique dans les deux régions: 24% en Europe de l'Ouest et 21% aux États-Unis. Depuis, ce taux s'est stabilisé à 22% côté européen, alors qu'il est tombé à 13% outre-Atlantique.

Un phénomène qui s'explique, selon Thomas Piketty, par "l'effondrement des plus bas revenus" aux États-Unis, mais aussi par "une inégalité considérable en matière d'éducation" et "une fiscalité de moins en moins progressive" dans ce pays. "Cela montre que les politiques publiques ont un fort impact sur les inégalités", ajoute-t-il.

Principale victime de cette dynamique selon le rapport, qui s'appuie sur 175 millions de données fiscales et statistiques issues du projet wid.world (wealth and income database): la "classe moyenne mondiale".

Entre 1980 et 2016, les 1% les plus riches ont capté 27% de la croissance mondiale. Les 50% les plus pauvres n'ont capté pour leur part que 12% des richesses créées, mais ont vu leurs revenus augmenter significativement. Ce qui n'a pas été le cas des individus situés entre ces deux catégories, dont "la croissance du revenu a été faible".

La population dans l'extrême pauvreté divisée par trois en 35 ans

Le tableau paraît bien sombre et d'ailleurs les auteurs du rapport anticipent des troubles politiques liés à cette montée des inégalités. Pourtant, le rapport passe sous silence un fait de plus en plus pris en compte par les économistes, notamment Angus Deaton, prix Nobel d'Économie 2015, qui est le recul spectaculaire de la pauvreté dans le monde sur la même période.

Les données de la Banque mondiale sur la période 1981-2015 font état d'une baisse très nette de l'extrême pauvreté dans le monde. Sont concernées ici les personnes qui vivent avec moins de 1,90 dollar par jour (chiffre d'ailleurs plusieurs fois ré-haussé pour tenir compte de l'inflation). Si la croissance économique de ces dernières années a entraîné une hausse des inégalités au sein des pays, elle a aussi permis à une part croissante de la population de sortir de la misère. Et il s'agit ici de pourcentages. Or dans le même temps, la population mondiale a crû de 2,6 milliards de personnes. En valeur absolue donc, la population mondiale vivant dans l'extrême pauvreté a reculé de 1,34 milliard de personnes entre 1981 et aujourd'hui, passant de 1,98 milliard à 640 millions.

Des données que même Thomas Piketty ne remet pas en cause. "Au niveau mondial, la pauvreté recule certes", admet dans L'Obs l'économiste, qui assure néanmoins que "l’on pourrait réduire la pauvreté beaucoup plus rapidement qu’on ne le fait si l’on suivait ce 'chemin européen' [qui privilégie la redistribution avec son système de protection, NDLR]". Pour Branko Milanovic, économiste à la Banque mondiale, cette analyse qui se concentre sur les inégalités au sein de chaque pays n'est pas juste comme il l'explique au site Inégalités.fr.

"Les plus pauvres des États-Unis font partie des 30% les plus riches du monde"

"Nous, citoyens des pays riches, avons tendance à nous préoccuper davantage des disparités et des difficultés sociales rencontrées au sein de nos propres pays, tout en omettant de nous soucier des inégalités dans le monde. Avec la crise et l’augmentation importante du chômage, ce phénomène est bien sûr exacerbé. Cette préoccupation est logique, car les gens sont directement concernés, et nous sommes tous les jours incités à penser à un niveau national avant de le faire à un niveau global. Mais, au regard de la distribution globale, elle n’est pas fondée: le fait même de naître dans un pays riche suffit à garantir un niveau de revenus bien supérieur à une très grande majorité de la population du monde. Par exemple, les plus pauvres des États-Unis font partie des 30% les plus riches du monde… Être le citoyen d’un pays riche préserve de bien des difficultés au regard des inégalités de revenus dans le monde".

Selon lui, imaginer une redistribution globale des richesses relève de l'utopie. "Il n’y a pas de volonté de la part des populations occidentales de faire un tel effort de redistribution, assure-t-il. Même si l’aide au développement, transfert partiel des richesses des pays riches vers les pays pauvres, n’a jamais été aussi importante. Je pense à l’inverse que la croissance est nécessaire pour réduire les inégalités: à l’appui du constat selon lequel les inégalités globales illustrent principalement un écart entre les populations des pays riches et pauvres, la meilleure chose à faire serait que les pays les plus pauvres s’enrichissent plus rapidement que les pays les plus riches". Ce qui est le cas dans de nombreuses régions en développement depuis quelques années.

Frédéric Bianchi avec AFP