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Peugeot, Frosties et Côte d'Or sont-ils prêts à aider les animaux dont ils utilisent l'image?

Des chercheurs appellent les entreprises dont le logo, les produits, le marketing, utilisent l'image d'espèces menacées à participer à leur protection. Nous avons demandé à certaines si elles envisageaient de le faire.

Une étude internationale à laquelle a participé le CNRS pointe ce paradoxe: les animaux les plus populaires sont aussi ceux dont le public a le moins conscience qu'ils sont menacés d'extinction. Pourquoi? Parce que les voir partout -dans les films et les pubs, dans les rayons des supermarchés, les magasins de peluches et les maillots des sportifs- empêche de se rendre compte qu'ils sont très rares dans la nature.

Une partie de l'étude consistait à demander à une cinquantaine de volontaires de compter pendant sept jours toutes les représentations auxquelles ils étaient confrontés de lions, tigres, girafes, gorilles, éléphants, guépard, ours polaires, etc. Des espèces figurant dans le top 10 des plus populaires établi par leur enquête, et dont la plupart est menacée. En moyenne, ils ont vu 31 fois l'image de tous ces animaux confondus.

GRAPHIQUE : en bleu clair, le nombre de représentations d'animaux auxquels les sujets ont été confrontés en une semaine. En bleu foncé, le nombre de specimens vivant des mêmes animaux.

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- © CNRS

Pour les lions, la moyenne était de 4,4 représentations du roi de la jungle rencontrées chaque jour. "Sur un an, les gens voient plus de lions dans le marketing qu'il n'en existe de vivants dans toute l'Afrique de l'ouest", rapporte Franck Courchamp, chercheur en écologie au CNRS. "Il y a aussi plus de Sophie La Girafe vendues chaque année en France qu'il n'y a de girafe vivantes dans le monde, et même d'enfants qui naissent dans le pays. Alors que le mammifère au long cou décline de manière alarmante. En 35 ans, les girafes du Massaï ont perdu 97% de leur population, rapporte le chercheur".

Cette réalité, les marques elles-mêmes n'en prennent pas la mesure. Vulli, le fabricant de la Girafe culte sur laquelle les nourrissons se font les dents depuis plus de 50 ans, le reconnaît: "on ne pensait pas qu'elles étaient pas autant en voie d'extinction". Face à la prise de conscience née de la parution de l'étude, l'entreprise trouve "complètement pertinente" la proposition des chercheurs du CNRS de faire que les groupes qui utilisent l'image de ces espèces menacées participent à la campagne pour leur préservation, notamment sous forme de "copyright" versé aux associations qui travaillent à leur protection.

Des opérations marketing payantes

Sophie la Girafe, déjà engagée en 2018 dans son premier partenariat humanitaire, en l'occurrence avec Médecins Sans Frontières pour financer des vaccins contre la rougeole, se voit bien mener une opération sur la protection des animaux dès 2019. À condition que "cela puisse changer la donne", indique la porte-parole.

Ces opérations, très à la mode dans le marketing, ont prouvé qu'elles étaient payantes, en particulier pour les marques. Il suffit de regarder le succès flamboyant de la collection de polos Lacoste dont le logo crocodile était remplacé par dix espèces en voie de disparition. L'édition limitée, produite en autant d'exemplaire qu'il reste de spécimen vivant sur la planète, s'était écoulée en quelques heures le jour de la mise en vente le 1er mars.

On peut aussi citer l'opération "Save your logo" lancée par des ONG, qui consistait en un appel aux dons aux entreprises qui utilisent comme emblème l'image d'un animal menacé. Jaguar et Puma pour l'animal éponyme, Maaf et le dauphin, Esso et le tigre, avaient été sollicités pour verser des fonds pour la défense de ces animaux, en échange d'un crédit d'impôt de 60%.

Mondelez et Kellog's ne répondent pas

"Très cyniquement, ces initiatives ne font que des gagnants: les marques en retirent une meilleure image auprès de leurs clients, et même dans le cas où ce ne serait que du 'green washing' pour elles, cela aident réellement les associations", souligne le chercheur du CNRS.

Toutes les entreprises n'entendent pas ce message. Chez Peugeot, qui arbore fièrement un lion sur toutes ses voitures, scooters et vélos depuis 160 ans, évoquer la menace qui pèse sur la perpétuation de l'espèce "n'est pas un sujet auquel nous réfléchissons", nous a indiqué le porte-parole. Chez le géant Mondelez aux 2 milliards ventes, qui utilise l'image de l'Éléphant sur ses chocolats Côte d'Or, ou Kellogs qui imprime un tigre euphorique sur ses paquets de Frosties, on n'a pas trouvé le temps de répondre.

Nina Godart