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Premières sanctions contre les pirates du trading haute fréquence

C'est au milieu de la cacophonie des ordres de bourse que certains traders utilisent la haute fréquence pour destabiliser le marché. Mais les autorités sanctionnent désormais plus durement les mauvais comportements.

C'est au milieu de la cacophonie des ordres de bourse que certains traders utilisent la haute fréquence pour destabiliser le marché. Mais les autorités sanctionnent désormais plus durement les mauvais comportements. - Spencer Platt - Getty Images North America - AFP

La bourse ne plaisante plus avec les spécialistes du trading haute fréquence, pratique accusée de déstabiliser les marchés et de faire peser un risque majeur sur leur solidité. Les premières sanctions viennent d’être prises à l’encontre de certaines pratiques abusives.

"C’est un comble, on m’accuse juste de faire trop bien mon métier !" C’est ainsi qu’a réagi, indigné, le trader britannique Navinder Singh Sarao quand on est venu lui passer les menottes la semaine dernière. Après une longue enquête des autorités boursières et de la justice britannique, il est désormais mis en examen.

Navinder Singh Sarao est soupçonné d’avoir été l’un des acteurs majeurs d’un évènement boursier dont tout le monde se rappelle, et qui est intervenu il y a 5 ans quasiment jour pour jour à Wall Street : le fameux Flash Crash. Pendant quelques minutes, des ordres de bourse ultra-rapides erronés ont provoqué une monstrueuse pagaille boursière, provoquant une baisse de quasiment 10% du Dow Jones pendant quelques minutes.

Le trading haute fréquence en accusation

Après un moment de panique indescriptible, et tout le monde ayant acquis la conviction que tout cela n’était que le fait d’un série de dysfonctionnements et d’erreurs, le marché était remonté de lui-même et tout était rentré dans l’ordre.

Malgré tout, le principal responsable montré du doigt fut logiquement le trading haute fréquence, dont la présence croissante (deux tiers des ordres de bourse sur certaine séances à Wall Street) a rendu possible cette singulière dégringolade boursière, heureusement sans gravité.

Enquête très complexe

Mais il avait été décidé par les autorités boursières d’enquêter sur ce sujet, adapter au besoin la régulation et punir les coupables. C’est désormais chose faite avec l’arrestation et la mise en examen de Navinder Singh Sarao, mais aussi la même semaine de la mise au ban pendant 60 jours de 2 traders émiratis, opérant sur le marché des options de la Bourse de Chicago.

Les deux affaires sont différentes mais touchent un point crucial : même si la pratique du trading haute fréquence est relativement nouvelle, il faut que s’applique le droit et les règles boursières ordinaires. Et en particulier des règles d’ordre moral, qui doivent s’appliquer entre autres à la Bourse de Chicago, qui précise que "les intervenants de marché doivent être des personne de bonne moralité, de bonne réputation et dotée d’un comportement professionnel irréprochable".

Difficultés techniques

Loi et morale, nécessaires pour intervenir dans ce genre de dossier. Car nombreuses sont les difficultés pour enquêter dans ce domaine, en témoigne une première mise en examen qui intervient 5 ans après les faits présumés.

Difficultés techniques tout d’abord. Retrouver les listings d’ordres boursiers constitue déjà une somme de travail considérable, surtout lorsqu’il est question de traiter des ordres de bourse effectués à haute fréquence. Il y a quelques jours, Wall Street aura été témoin d’un record absolu, celui du nombre d’ordres de bourse différents lancé en une milliseconde : 864 !

Prouver l’intention malhonnête

D’où un travail de fourmi quand on enquête sur certaines transactions précises, démêler l’écheveau est une tâche d’une complexité folle. Mais ce n’est rien comparé à l’essentiel de la tâche : déterminer l’acte illégal.

Car délits d’initiés, trading haute fréquence, même combat. Il est fort compliqué de prouver l’intention malhonnête. Rien n’empêche un trader de lancer des ordres de bourse, fussent-ils des milliers à la seconde, aucun texte et aucun règlement ne l’interdit. Il faut donc se pencher sur l’amont, pourquoi l’ordre a été passé.

"Spoofing" et "Layering"…

Et deux techniques sont monnaies courante dans le trading haute fréquence. La première est ce qu’on appelle le "Spoofing". Littéralement "Faire une Farce". On envoie une grande quantité d’ordres volontairement erronés en misant sur le fait qu’ils vont être annulés. On déstabilise ainsi totalement l’actif sur lequel on mise, pour enfin envoyer les ordres réels au meilleur moment.

L’autre tactique est celle du " Layering ", le délayage. Plus subtil, il consiste à envoyer une infinité d’ordres sur le même actif, le plus possible, afin de créer l’illusion de liquidité, attirer d’autres intervenants et en gros les noyer dans une vaste manipulation de cours.

Loi, règles… et morale !

Le problème est que même en se plongeant dans ces techniques complexes, on a encore du mal a déterminer l’intention malhonnête. Alors les autorités ont préféré commencer par faire deux exemples, afin de donner un signal important.

Utiliser le trading haute fréquence est loin d’être un problème en soi, mais s’en servir pour déstabiliser le marché et duper le reste des intervenants constitue une violation des règles, et aussi de la morale boursière, un aspect qui peut faire sourire au premier abord, mais qui est essentiel pour conserver son autorisation de passer des ordres de bourse, surtout aux Etats Unis.

Et en opérant sur ces deux terrains, les autorités auront plus de chance de faire mouche et de faire condamner ces nouveaux pirates du trading haute fréquence, pour empêcher un nouveau Flash Crash au conséquences qui pourraient cette fois se révéler désastreuses. 

Antoine Larigaudrie