BFM Business
Economie

Exportations en berne: pourquoi le coût du travail n'explique pas tout

L'aéronautique est l'un des rares secteurs où la France a su se doter d'une image de qualité

L'aéronautique est l'un des rares secteurs où la France a su se doter d'une image de qualité - Gaizka Iraz - AFP

En 2016, la France a creusé son déficit commercial alors que l'Allemagne affichait un nouvel excédent record. Le coût du travail a pourtant progressé plus fortement outre-Rhin. Preuve que le problème français tient moins à la valeur de l'euro et au niveau des salaires et des charges sociales... qu'à la qualité de la production.

Jamais le fossé séparant la France de l'Allemagne n'avait été aussi profond. En 2016, l'Hexagone accusait un déficit commercial de 48 milliards, avec des exportations en berne (-0,6%). La première économie européenne affichait, elle, un nouvel excédent record de plus de 250 milliards d'euros.

Pour Pierre Gattaz, les causes de ce grand écart se résumé en un mot: compétitivité. Dans une interview au Figaro ce mardi 14 février, le président du Medef appelait de nouveau à "baisser le coût du travail" pour permettre aux entreprises françaises de se battre à armes égales avec les grands pays exportateurs.

Sauf que ce handicap ne devrait plus être mis en avant comme l'origine de tous les maux dont souffre la France. Plusieurs études montrent que le coût du travail progresse désormais moins vite en France qu'en Allemagne. Selon Eurostat, le coût horaire de la main d'œuvre a augmenté de 1,2% en France en 2015 contre 2,5% en Allemagne.

Des pertes de part de marché

Plus récemment, une étude du Coe-Rexecode de janvier montrait que le coût salarial unitaire (le coût d'une heure de travail divisé par la productivité) avait progressé de 0,9% en France l'an dernier, contre 1,3% pour la zone euro et, surtout, 1,9% pour l'Allemagne. Sur la période 2012-2016, l'écart est encore plus flagrant: +0,8% pour l'Hexagone, +3,7% pour la zone euro, et +9,1% pour l'Allemagne.

Ce "début de redressement", comme le décrit le Coe-Rexecode, n'a pourtant pas empêché la France de perdre des parts de marchés à l'export. Au troisième trimestre 2016, la part dans les exportations de biens et services de la zone euro des entreprises opérant dans l'Hexagone est passée en un an de 13,6% à 13,4%. Elle atteignait encore 17% au début des années 2000.

C'est qu'au-delà du coût, les entreprises françaises présentent également de sévères handicaps dans ce que l'on appelle la compétitivité hors-coût. C'est même la principale faiblesse de la France face à sa voisine d'outre-Rhin. "L'une des forces de l'Allemagne est la puissance de ses marques et la qualité de ses produits. La France, elle, n'a pas pour réputation d'avoir des produits de qualité exceptionnelle et se retrouve ainsi, sur certains secteurs, face à une concurrence qui propose des prix inférieurs au même niveau de qualité", résume Jean-Louis Mourier, économiste chez Aurel BGC.

Deutsche Qualität

Cette faiblesse avait été plus particulièrement soulignée dans un rapport de France Stratégie, en mars 2016. "Sur 102 secteurs, la France en classe 55 dans le top 10 de l’OCDE en termes de qualité. L’Allemagne avec 85 secteurs est loin devant mais aussi l’Italie, la Suisse, les Pays-Bas et le Royaume-Uni (entre 57 et 65 secteurs)", pouvait-on notamment lire dans ce rapport.

"Si des secteurs comme l’aéronautique, certains segments de la pharmacie ou des services, les cosmétiques, les boissons alcoolisées et la maroquinerie ont su monter en gamme, construire une image de marque et s’imposer parmi les leaders mondiaux de leurs secteurs respectifs, ils constituent cependant une part insuffisante des exportations totales", écrivait les auteurs de ce texte.

Le positionnement des produits français, dans le milieu voire le bas de gamme, les pénalisé dès lors qu'une guerre des prix est engagée par les autres compétiteurs. Ce qui n'est pas le cas des marchandises estampillés "Deutsche Qualität", protégées par leur réputation. Ce constat était notamment approfondi dans une étude de Patrick Artus, le directeur des études de Natixis, dans une étude d'octobre dernier.

"La France en mal de qualité"

Le CEPII, lui, avait déjà épinglé cette carence dans une lettre appelée "La France en mal de qualité", en juillet 2015. Le centre d'études prospectives spécialisé dans le commerce international, avait alors réalisé une enquête montrant que la France ne se classait 1ère dans l'OCDE que sur un seul secteur en terme de qualité (l'aéronautique) contre…10 pour l'Allemagne!

Les explications à l'origine de cette compétitivité hors-prix moyenne voire mauvaise sont nombreuses. France Stratégie énumérait pêle-mêle un déficit de compétences dans la population active française, des déficiences d'organisation dans les entreprises françaises, la trop faible diffusion des nouvelles technologies dans les entreprises (plus du tiers des sociétés tricolores n'ont pas de site web, environ 15% utilisent un service de cloud contre 50% en Finlande) et, enfin, le manque d'ETI capables d'innover et exporter.

Des faiblesses que la France doit rectifier. Car, au-delà de la compétition qui se joue avec l'Allemagne, France Stratégie souligne que la concurrence venant des marchés émergents va d'autant plus s'intensifier que leurs produits vont irrémédiablement monter en gamme.