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L'accueil des réfugiés: une opportunité économique?

La grande manifestation à Paris le 5 septembre dernier, place de la République.

La grande manifestation à Paris le 5 septembre dernier, place de la République. - François Guillot - AFP

Que doit faire la France face à l’arrivée massive de réfugiés en Europe ? Le sujet divise la société française. Une chose est sure: l'intégration de ces migrants, si elle est réussie, ne coûte pas inéluctablement plus qu’elle ne rapporte.

Alors que les premiers réfugiés en provenance d'Allemagne sont désormais arrivés en France, les politiques restent divisés sur la question de leur accueil. Plutôt que de voir cette problématique comme une contrainte, certains y voient au contraire une aubaine pour la France comme pour l'Europe.

C'est le cas du ministre de l'Economie Emmanuel Macron. Dimanche, le locataire de Bercy déclarait ainsi à la chaîne d'information israélienne i24news que l'afflux de réfugiés peut constituer une "opportunité économique".

"Si cela est fait dans le bon ordre, c'est une opportunité pour nous. C'est d'abord notre dignité, c'est aussi une opportunité économique, parce qu'il s'agit de femmes et d'hommes qui ont aussi des qualifications remarquables", affirmait-il.

"Une opportunité pour notre pays"

Qu'Emmanuel Macron tienne ce genre de discours n'est pas très surprenant. On attendait beaucoup moins au tournant Pierre Gattaz. Et pourtant, mercredi, le président du Medef a signé une tribune dans Le Monde intitulée "les migrants sont un atout pour la France".

Dans ce texte le patron des patrons appelle à tendre la main aux migrants en vertu de "la fraternité" mais "aussi parce que c'est une opportunité pour notre pays". "Cessons toute condescendance envers ces migrants: ils ont souvent un fort niveau d'éducation, sont la plupart du temps jeunes, formés et n'ont qu'une envie, vivre en paix et pouvoir élever une famille", poursuit-il.

Dans une note publiée le 8 septembre dernier, les économistes de Natixis Patrick Arthus et Evariste Lefeuvre ont tendance à apporter de l'eau au moulin du ministre de l'Economie et du président du Medef. Dans ce texte titré "crise des migrants: une chance pour l'Europe", ils analysent les raisons qui permettraient au Vieux Continent de tirer avantage de ce drame humain.

"C’est parce qu’elle a un potentiel de croissance extrêmement bas que l’Europe devrait se montrer généreuse et, sans bien évidemment ouvrir sans contrôle ses portes à l’immigration, tirer bénéfices du choc d’offre induit par les demandeurs d’asile", plaident-ils.

Dans cette note, les deux économistes rappellent l'importance de l'immigration, expliquant que sans elle la croissance potentielle de l'Allemagne ou la France, c'est-à-dire la croissance en temps normal sans conjoncture particulièrement mauvaise ou bonne, serait négative. Ils font également valoir que "les flux nouveaux de réfugiés comprennent des personnes plus qualifiées que les flux traditionnels; ce qui facilitera leur intégration".

Patrick Arthus et Evariste Lefeuvre considèrent ainsi que "l'accueil des réfugiés (…) pourrait être enfin l'occasion pour l'Europe non seulement d'honorer son rang d'Union démocratique, riche et respectueuse de sa tradition, mais aussi d'accroître ses perspectives de croissance".

Un temps d'intégration plus long que les autres

Jean-Christophe Dumont, chef de la division migration à l'OCDE, tient lui un constat beaucoup plus nuancé. Face à l'argument de la qualification des réfugiés notamment. "En Suède, 40% des réfugiés syriens sont diplômés du supérieur. Maintenant il faut voir ce que représentent ces diplômes sur le marché du travail suédois car il y n'a pas de transférabilité internationale sur ces diplômes. Au-delà de la question linguistique, il y a forcément des requalifications à considérer", souligne-t-il.

On ne peut donc pas déduire que les réfugiés avec des niveaux de qualifications élevés vont aisément trouver un emploi. Ce d'autant plus que "l'écart entre le niveau d'emploi des immigrés augmente avec le niveau de diplôme" fait valoir Jean-Christophe Dumont.

Le problème est d'autant plus vrai que, parmi les migrants, les réfugiés sont particulièrement plus difficiles à intégrer. En raison notamment des traumatismes qu'ils ont subi et du fait qu'ils ont délaissé bon nombre de leurs biens derrière eux.

"Cela prend entre 5 à 10 ans pour que le taux d'emploi des réfugiés converge vers celui des migrants", explique le spécialiste. Autrement dit, à court terme, l'accueil des réfugiés coûte davantage qu’il ne rapporte. "On n’accueille pas des réfugiés pour en tirer un bénéfice économique. De toute façon leur nombre est trop faible pour changer les grands équilibres macroéconomiques", poursuit Jean-Christophe Dumont.

Dynamiser la main d'oeuvre

"Maintenant la question est de savoir si les conséquences sont négatives ou positives. Et la réponse c'est qu'à long terme elles peuvent être bénéfiques si on a les bonnes politiques d'intégration et que l'on accompagne les réfugiés de façon efficace", ajoute-t-il.

L'économiste souligne qu'entre 2000 et 2010, le nombre d'immigrés a augmenté de 70% dans les pays de l'OCDE. Et, selon lui, cette hausse a contribué à une augmentation de la main d'œuvre qualifiée. "Ils représentent 15% des entrées dans les emplois en croissance", explique Jean-Christophe Dumont. A cela s'ajoute un autre avantage: la complémentarité de la main d'œuvre. En plus des emplois qualifiés, les migrants prennent des emplois à faible qualification qui ne sont pas pourvus dans les pays de l'OCDE. Ils représentent ainsi 28% des entrées dans les secteurs dits "en déclin".

Les migrants et, par dérivation, les réfugiés peuvent ainsi "contribuer au dynamisme de l'économie et répondre à des besoins ponctuels", conclut Jean-Christophe Dumont. Toutefois, insiste-t-il, "c'est un effet de long terme". D'où le satisfecit adressé par l’économiste à Angela Merkel qui a pris soin de souligner le temps que prendrait l'intégration des réfugiés.

Enfin Jean-Christophe Dumont tord le cou à l'argument qui voudrait que la France n'ait pas la place pour ces réfugiés. "Nous avons les moyens d'absorber cette main d'œuvre sur le marché du travail", assure-t-il, arguant au passage que "l'immigration a un effet globalement nul sur l'emploi".