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"La classe moyenne est passée de 54 à 58,7% de la population"

Les classes moyennes sont plus nombreuses que dans les années 80 mais se sentent déclassées

Les classes moyennes sont plus nombreuses que dans les années 80 mais se sentent déclassées - Jean-Louis Zimmermann - Flickr - CC

INTERVIEW La classe moyenne est au cœur du projet de budget pour 2016 dévoilé ce mercredi 30 septembre par le gouvernement en conseil des ministres. Mais que représente cette catégorie de Français que la classe politique cherche à tout prix à séduire? La réponse réponse de Jörg Müller, chargé de mission au Crédoc.

C'est une opération de reconquête que mène François Hollande. Ce mercredi 30 septembre, le projet de loi de Finances pour 2016 doit être dévoilé en Conseil des ministres. La mesure phare du texte: de nouvelles baisses d'impôts qui de l'aveu même du chef de l'Etat ciblent surtout la classe moyenne, une catégorie qui a eu tendance à se sentir délaissée par l'action du gouvernement.

Très présente dans les discours politiques, cette fameuse classe moyenne reste une notion assez floue aux yeux des Français. Comment la définit-on? Jörg Müller, chargé d'étude et de recherche au Crédoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie) livre à BFMbusiness.com des éléments de réponses.

Jörg Müller
Jörg Müller © Crédoc

> Quand est apparue cette notion de "classe moyenne"?

Jörg Muller: En France, cette idée a émergé avec la création de l'impôt sur le revenu, au début de la première guerre mondiale (par une loi du 15 juillet 1914, ndlr). Déjà à l'époque il s'agissait d'un concept fourre-tout. Avec la guerre, les pouvoirs publics ont eu un besoin considérable d'élargir leurs recettes et d'imposer un public plus large. Ce terme de classe moyenne a ainsi été créé par opposition aux classe supérieures, qui contribuaient déjà, et aux classes inférieures, qui, elles, n'étaient toujours pas prélevées.

> Pourquoi les politiques draguent-ils en permanence cette classe?

J.M: C'est dû à l'importance que revête la classe moyenne. On associe à cette classe le plus grand nombre de Français. C'est pourquoi tout le monde en parle: car on pense que la plus grande partie des ménages y appartiennent.

> Comment définit-on aujourd'hui cette classe moyenne?

J.M: Il existe plusieurs définitions opérationnelles qui ont été mises en place par des universitaires afin de transformer cette notion de classe moyenne en un objet d'étude. Au Crédoc, nous avons choisi de retenir une approche liée aux revenus: la classe moyenne représente les 50% des ménages dont le revenu brut disponible n'appartient ni aux 30% les plus modestes, ni aux 20% les plus aisés (en se basant sur les statistiques de l'Insee, ndlr). En sociologie, les chercheurs ont tendance à retenir une définition par catégorie socio-professionnelle. C'est un choix par défaut qui est essentiellement dû au fait que ces chercheurs ne disposent pas de chiffres fiables à portée de main.

> La classe moyenne est-elle sur le déclin?

J.M: Si l'on regarde l'évolution de la classe moyenne de 1979 à aujourd'hui, on s'aperçoit que la classe moyenne est passée de 54 à 58,7% de la population (soit environ 38 millions de Français, ndlr). Les classes moyennes ne sont donc pas sur le déclin. Elles rétrécissent mais ne sont pas sur le déclin. En revanche il y a un sentiment de déclassement de la part de ces classes qui ont le sentiment de ne plus y appartenir, alors que ce n'est pas le cas. Leur niveau de vie a même augmenté. Il y a ainsi un décalage entre la perception et la réalité.

> Cela s'applique-t-il également aux hauts revenus?

J.M: Oui. En fait plus personne ne veut être considéré comme riche et appartenir aux hauts revenus. Il s'agit d'un tabou historique. Les Français riches vont ainsi se définir comme appartenant à la classe moyenne supérieure. Du côté du bas de la classe moyenne, il y a un discours victimaire qui est très présent en France. Des ménages qui se considèrent comme modestes appartiennent en fait aux classes moyennes. Mais ils s'estiment lésés par la redistribution opérée via l'impôt et considèrent qu'en France il vaut mieux se considérer comme une victime.

> Comment expliquer le sentiment de déclassement de la classe moyenne?

J.M: Je pense qu'il y a de multiples facteurs. Avec la crise économique, les budgets ont été plus contraints. Il y a également les réformes fiscales qui s'enchaînent et qui donnent l'impression d'une surfiscalisation, ce qui est en partie vrai. De plus, les classes moyennes ont l'impression de ne pas bénéficier de la redistribution. Il est vrai que ce phénomène en France bénéficie moins à cette classe que dans les pays nordiques, par exemple.

> François Hollande se lance à l'assaut de cette classe qu'il a a priori perdu. Est-ce trop tard?

J.M: Il a effectivement perdu du crédit auprès de la classe moyenne et il sera très difficile de le reconquérir. Pour une raison simple: en France, il est très compliqué de capter la classe moyenne quand vous êtes au pouvoir, elle est plus facilement captable par l'opposition car il y a une défiance entre la classe moyenne et les institutions.