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La Guyane, une économie sous perfusion?

Des manifestants lundi 27 mars

Des manifestants lundi 27 mars - Jody Amiet - AFP

La Guyane, qui connaît actuellement un important mouvement de grogne sociale, possède une économie où le secteur public est omniprésent, plus de la moitié des emplois salariés étant liés à l'administration et à l'enseignement.

"Une économie socialiste, administrée, gérée par l'État". C'est par ces termes peu élogieux que Jean-Marc Daniel, professeur d'économie à l'ESCP-Europe décrit l'économie guyanaise. La région d'outre-mer connaît depuis la semaine dernière un important conflit social qui s'est intensifié lundi avec le début d'une grève générale.

La Guyane, où le chômage atteint 22%, a en effet une économie très peu diversifiée et dépendante du secteur public. Selon l'Insee, en 2011, une personne active sur trois était fonctionnaire en Guyane. En élargissant plus largement à l'ensemble de l'emploi public, l'administration et l'enseignement représentent plus de la moitié de l'emploi salarié (51,8%, contre 18,5% en métropole), selon les données de la direction générale des outre-mer.

De plus les fonctionnaires vivant dans cette région bénéficient d'une rémunération supérieure de 40% à la métropole. Une particularité qui crée un paradoxe: le salaire moyen en Guyane est plus élevé que la moyenne nationale (1.980 euros nets par mois contre 1.778 euros) alors que le PIB par habitant est deux fois inférieur (15.513 euros contre 32.199 euros).

"Le modèle de la cueillette"

La Guyane serait-elle un territoire sous perfusion de la dépense publique?

"Ce cliché est malheureusement vrai. L'économie guyanaise vit beaucoup de la commande publique. Nous peinons ainsi à créer une véritable économie endogène, basée sur des moteurs internes. Nous sommes encore dans le modèle de la cueillette: il y a des fruits qui tombent et nous les ramassons", déplore Stéphane Lambert, président du Medef Guyane, auprès de BFMbusiness.com.

Un constat que Quentin Blanc, économiste chez BSI Economics, qui réside en Guyane, nuance: 

"La question de l’argent public est fréquemment posée pour la France, pour l’outre-mer et pour la Guyane. Si l’on prend le nombre d’allocataires du RSA, il est de 20.000 en Guyane, 29.000 dans les Yvelines et de 40.000 dans les Hautes Seines, ces Régions vivent-elles des deniers publics ?", s'interroge-t-il. Avant d'ajouter: "Ces régions rencontrent aussi des problèmes qu’il faut régler, notamment avec un effort sur la formation pour ramener les personnes dans l’emploi. Le tissu associatif est actif en Guyane mais son financement reste fragile".

L'économiste fait par ailleurs valoir que "les besoins en infrastructures sont importants en Guyane,: des routes, des hôpitaux, des écoles, des lycées". "L'investissement public est là pour répondre à ces besoins et aux besoins des Français sur l'ensemble du territoire", complète-t-il.

Rediriger l'argent public

Invitée de BFM Business, l'économiste spécialiste du commerce mondiale, Agnès Benassy-Quéré évoque "un syndrome français". "Les transferts considérables de la métropole tirent vers le haut les prix et empêchent la diversification de l'économie guyanaise parce que le système subventionne de la consommation et non pas de l'investissement. Tout l'enjeu est non pas de dépenser moins mais de rediriger l'argent: au lieu de surpayer les fonctionnaires, il faut davantage investir", explique-t-elle.

"Environ les deux-tiers de l'économie de la Guyane reposent sur la commande publique et les transferts (traitement des fonctionnaires,)", estime Stéphane Lambert. Selon l'AFP, les financements publics extérieurs, l'État et les institutions publiques représenteraient près de 90% du PIB de la Guyane (3,9 milliards d'euros en 2014).

Quentin Blanc, lui, indique, chiffres de l'Insee à l'appui, que "la valeur ajoutée du secteur non marchand (qui peut être considéré comme le secteur public, ndlr) est de "22,8 % en France selon l’Insee, en 2015, et s’élève à 33,2 % en Corse et 33,7 % en Guyane".

"Le poids du secteur non marchand est important en Guyane mais c’est aussi le cas dans d’autres régions métropolitaines", insiste-t-il. 

Un choix géographique "perdu d'avance"

Par ailleurs, la Guyane a pour particularité d'être tirée par l'aérospatiale qui représente plus de 15% du PIB, avec la présence sur ses terres du centre spatial guyanais qui accueille les lanceurs Ariane, Vega et Soyouz et représentent plus de 9.000 emplois directs et induits. Sauf qu'évidemment le secteur spatial est en grande partie financé par les États, a fortiori l'État français. 80% des coûts du port spatial sont pris en charge par la France, selon la Cour des comptes.

Pour l'essentiel, le secteur privé a du mal à percer. Le tourisme est balbutiant (100.000 touristes à peine en 2014), et si les services sont relativement bien développés, la Guyane a du mal à exploiter des ressources naturelles pourtant importantes. "Imaginez que nous importons du bois!", s'exclame Stéphane Lambert, alors que la forêt couvre pourtant 96% du territoire guyanais et que le bois est le troisième secteur économique du pays, après l'aérospatial et le secteur aurifère.

Pourquoi l'économie marchande peine à décoller? S'il considère qu'il n'existe pas de "réponse simple" à la question, Quentin Blanc juge toutefois que "la taille du marché, l’importation de nombreux produits et services renchérissent les coûts, les délais, compliquant la croissance du secteur privé". 

"Pour prendre un exemple parlant, en Guyane on ne peut pas commander sur Amazon, car la société ne livre pas sur le territoire. Des possibilités existent pour que les colis soient réexpédiés mais le prix est très élevé", décrit-il.

Par ailleurs, la dépendance à la métropole est aussi commerciale. La France est à la fois le premier fournisseur et client de la Guyane (57,8% de ses importations, 44,2% de ses exportations). À l'inverse les échanges avec le Brésil, un pays pourtant voisin, ne représentent que 0,5% du total. "Ces territoires (les territoires d'outre-mer, ndlr) se développent en relation avec la France qui est très loin. Or essayer d'échapper à la géographie économique c'est perdu d'avance. La Guyane devrait s'intégrer davantage avec les pays de sa région", considère Agnès Benassy-Quéré.