BFM Business
Economie

Les 35 heures ont 20 ans: faut-il encore réduire le temps de travail?

Martine Aubry, alors ministre du Travail, en mars 1998, lors des débats sur les 35h à l'Assemblée nationale.

Martine Aubry, alors ministre du Travail, en mars 1998, lors des débats sur les 35h à l'Assemblée nationale. - THOMAS COEX / AFP

Le 10 février 1998, les députés votaient l’abaissement de la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures. Si en Allemagne, le syndicat IG Metall a obtenu la possibilité de travailler 28 heures par semaine, ceux qui, en France, militent pour une nouvelle réduction du temps de travail ont peu de chance de se faire entendre.

C’est une autre époque. La France n’est pas encore championne du monde de foot. Le film Titanic vient tout juste de sortir dans les salles de cinéma. Et Martine Aubry est ministre du Travail de Lionel Jospin. C’est elle qui va porter le projet de loi pour la réduction du temps de travail hebdomadaire à 35 heures, voté en première lecture à l’Assemblée nationale le 10 février 1998. Hasard du calendrier, un accord sur la semaine de 28 heures a été trouvé en Allemagne cette semaine de février 2018.

Les quatre millions de salariés du secteur de la métallurgie allemande pourront désormais, s’ils le souhaitent, ne travailler que 28 heures par semaine, pour une durée comprise entre 6 et 24 mois. Ils pourront également retrouver leur poste à temps plein à l’issue de cette période. En contrepartie, ils devront accepter de voir leur rémunération baisser, contrairement à ce que souhaitait le syndicat IG Metall: ces 28 heures seront payées 28.

"On aurait bien besoin de relancer le débat"

De quoi relancer les discussions en France sur un sujet explosif? "Ce n’est pas transposable en France à ce jour", a d’ores et déjà tranché Pierre Gattaz. Selon le président du Medef, l'Allemagne a mené depuis 2003 des "réformes fondamentalement importantes (...) qui ont débouché sur ce que certains appellent le miracle allemand". "Nous avons dix à douze ans de retard sur les Allemands, faisons les réformes qui vont bien en France pour avancer et pour que ce partage de richesses se fasse", estime le patron des patrons.

Pourtant, "on aurait bien besoin de relancer le débat" sur la réduction du temps de travail, assure Jean-Yves Boulin, sociologue du travail à l’Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales (Irisso) de l’université Paris-Dauphine, et co-auteur de Les batailles du dimanche (PUF). "On a quand même un taux de chômage élevé, qui ne descend pas vraiment, donc la question de la durée du temps de travail reste à l’agenda dans un objectif de redistribution", reprend-il. "Par ailleurs, la réforme du Code du travail qui a eu lieu en septembre dernier par ordonnances, en mettant l’accent sur les négociations en entreprises, ne va pas permettre vraiment d’avancer sur ces questions. C’est à l’échelon de la branche qu’on peut vraiment l’envisager".

"C'est devenu un sujet tabou"

Et on en est encore loin. D’autant qu’en France, la redistribution du temps de travail est devenue un véritable chiffon rouge depuis la guerre de tranchées sur les 35 heures.

"On ne s’y est pas bien pris et c’est devenu un sujet tabou", relève Pierre Larrouturou, co-auteur de Einstein avait raison, il faut réduire le temps de travail (éd. De l’Atelier). "Avec les 35 heures, on a réussi en même temps à braquer les patrons et à décevoir les salariés. Sans doute que la méthode qui a été employée en France - une loi imposée par le gouvernement sans beaucoup de débats - a braqué un certain nombre d’acteurs. Mais quand une idée vient d’Allemagne, on commence à débattre un tout petit peu", s'amuse celui qui est aussi porte-parole du parti Nouvelle Donne.

Avant de remettre le sujet sur la table, il faudrait d’ailleurs se trouver "des acteurs sociaux qui soient capables de discuter et de faire des compromis", reprend Jean-Yves Boulin. L’exemple allemand est à ce titre frappant: "IG Metall voulait la possibilité de passer aux 28 heures, cumulée à une hausse de salaire de 6% et une compensation de 200 euros", reprend le sociologue. "Au bout du compte, c’est 4% d’augmentation de salaire, la possibilité de passer à 28 heures mais sans compensation salariale. Et une augmentation de la flexibilité pour les entreprises. Ils ont cherché un compromis. En France, le dialogue social est sous l’éteignoir, parce qu’on dit ‘négociez, mais si vous n’y arrivez pas, très vite on fera une loi’".

"Le hors-travail est rarement à la table des négociations"

Chez les économistes, la querelle idéologique autour de l’efficacité de la réduction du temps de travail fait pendant ce temps-là toujours rage. "Elle ne crée pas d'emplois", expliquait l'économiste Stéphane Carcillo au Point. "C'est une politique sociétale qui, au mieux, n'a pas d'effets négatifs. La raison est simple: la baisse du temps de travail ne s'accompagne presque jamais d'une baisse correspondante de rémunération. Personne n'est prêt à l'imposer. Ni les politiques, ni les entreprises. Résultat, le salaire horaire et le coût du travail augmentent, ce qui est mauvais pour l'emploi, à moins qu'il y ait des gains de productivité et des aides financières pour compenser totalement cette hausse". 

En face, Pierre Larrouturou estime urgent que le sujet revienne sur la table. 

"Aujourd’hui en France, l’Insee nous dit que les gens qui sont à temps plein sont à 39,6 heures hebdomadaires, avec parfois trop de travail et des cas de burn-out. D’un autre côté, il y a quatre millions de gens qui font zéro heure par semaine. Est-ce que c’est vraiment la façon la plus intelligente de partager le travail?", répond Pierre Larrouturou, qui regrette sur ce sujet une France "tétanisée par la trouille".

Le jour où cette "trouille" s’envolera, il faudra éviter de commettre les mêmes erreurs. "Il faudrait réfléchir à des modalités comme en Allemagne: plus souples, et sur l’ensemble d’une vie", conseille Jean-Yves Boulin. "Il faut des vrais congés parentaux, des vraies périodes pour se former, pour travailler dans des associations. Le hors-travail est rarement à la table des négociations, alors que finalement on pourrait travailler le même nombre d’heures toute la vie. C’est plus une question de rythme que de durée".

Antoine Maes