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Ce que risque vraiment l'Europe si la Chine ou la Russie sombrent

Le poids réel des émergents est relativement faible (photo d'illustration)

Le poids réel des émergents est relativement faible (photo d'illustration) - Mark Ralston - AFP

Le récent coup de tabac sur les Bourses occidentales a mis clairement en lumière les difficultés des pays émergents. Mais selon une étude de Natixis, l'impact de la crise chinoise ou russe sur l'activité des entreprises allemandes ou françaises est bien moins important qu'on le croit.

Ce n'est un secret pour personne: les grands pays émergents s'essoufflent. Entre une Russie plombée par la chute du rouble et la baisse des prix du pétrole, un Brésil dont la croissance est en berne et une Chine dont les problèmes ont été exposés au grand jour avec la crise boursière la semaine dernière, un grand voile d'incertitudes en tous genres entoure ces économies.

Doit-on pour autant redouter que ces grands pays émergents, s'ils devaient chuter, entraînent dans leur sillage les économies développées? C'est la question que se posent les économistes de Natixis dans une récente note.

Un sujet d'autant plus important que de prime abord ces pays pèsent gros. Sylvain Broyer, l'économiste auteur de l'étude, rappelle que les pays émergents représentent presque 40% du PIB mondial (37% en PPA, parité de pouvoir d'achat, une unité construite de sorte à éliminer les aléas liés au coût de la vie dans les comparaisons internationales) et contribuent à 71% de la croissance mondiale. De plus, 29% des exportations des économies développées leur sont destinées, selon Natixis.

Des données trompeuses

Et pourtant ces chiffres sont quelque peu trompeurs. "Ils ne donnent pas la bonne mesure de la dépendance des économies développées aux économies émergentes", juge ainsi Sylvain Broyer dans sa note. D'une part, le poids dans le PIB en PPA reste une mesure artificielle car "il consiste à rapporter le PIB d'un pays au pouvoir d'achat intérieur. Comme le PIB contient des exportations, beaucoup pour un pays comme la Chine, et que le niveau de vie domestique dans les émergents est plus faible que dans la plupart des économies cibles de leurs exportations, le PIB PPA surestime le revenu produit par les émergents", explique-t-il.

D'autre part, il considère que le poids dans les exportations des pays émergents est également une mesure biaisée en raison "de l'éclatement de la chaîne de valeur". "Par exemple, la valeur ajoutée d'une Porsche ne se situe qu'à 15% en Allemagne, le reste provenant des pays émergents. BMW a beaucoup de pièces faites en Asie, Volkswagen utilise le Mexique, etc...", explique Sylvain Broyer à BFMBusiness.com

"Depuis les années 2000 les grands manufacturiers ont ainsi délocalisé les ateliers de production pour profiter des faibles coûts salariaux des produits émergents, ce qui a mécaniquement fait exploser le commerce", indique-t-il. La logique est simple: pour construire une voiture les échanges commerciaux se sont multipliés puisque toutes les pièces sont fabriquées au quatre coins du monde.

"Le commerce a ainsi augmenté bien plus vite que le PIB mondial, car il prend notamment en compte les échanges de biens intermédiaires alors que le PIB lui se base sur la consommation finale", poursuit Sylvain Broyer, qui explique toutefois que ces mouvements de délocalisation sont quasiment terminés. "C'est pour cela que si vous mesurez le poids des pays émergents en regardant les exportations, vous allez surestimer leur création de richesse".

L'Allemagne la plus dépendante

Mais alors quel thermomètre prendre? Sylvain Broyer a lui décidé de mesurer les liens entre économies développées et émergentes en prenant la valeur ajoutée (VA). En clair, la part de la richesse produite par les économies "riches" et consommée par les émergents (en termes techniques: "la valeur ajoutée produite dans la demande en biens finaux des émergents"). Concrètement avec cet indicateur, "on sait combien monsieur Porsche produit pour satisfaire les dépenses de la demande chinoise", résume Sylvain Broyer.

Au vu des chiffres, on se rend compte que le pays le plus dépendant des émergents reste la locomotive allemande avec 11% de la valeur ajoutée. La France se situe à 6%, Le Royaume-Uni et le Japon à 7%, l'Italie à 8%. Les Etats-Unis sont moins dépendants (5,1%). 

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- © Natixis

Sylvain Broyer est donc formel: "les liens par le commerce extérieur (entre pays développés et émergents, ndlr) sont plus faibles qu'il n'y paraît". En conséquence, "on ne peut pas conclure que la crise des émergents entraînera les économies développées dans leur sillage".

Un constat que partage dans les grandes lignes son confrère du Crédit Agricole SA, Jean-Louis Martin, responsable des études macroéconomiques: "le ralentissement économique des pays émergents ne met pas les économies développées sur la paille, même si l'effet n'est pas négligeable. On voit, par exemple, dans le cas de la Chine qu'il y a un impact visible sur les constructeurs automobiles allemands".