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Que faut-il à un pays "émergent" pour rejoindre la cour des grands?

Dans moins de 10 ans, la Chine cessera d'être un pays émergent (image d'illustration)

Dans moins de 10 ans, la Chine cessera d'être un pays émergent (image d'illustration) - AFP

Véritables locomotives de la croissance mondiale, les pays émergents n'en finissent plus d'être au centre de l'attention. Mais à partir de quand un pays sort-il de cette catégorie? Eléments d'explication.

Ce sont des champions que l'on dit fatigués ou en déclin: les pays émergents. Pourtant ils devraient encore afficher une croissance impressionnante de 4% cette année 2015. "Ils contribuent ainsi pour 75% de la croissance mondiale", relève ainsi Christian Déséglise, cadre dirigeant en charge des banques centrales chez HSBC et professeur sur les marchés émergents à l'Université de Columbia.

Mais le concept de pays émergent reste flou. Certains y classent les pays d'Europe de l'Est comme la République Tchèque ou la Pologne, d'autres non. Idem pour la Corée du Sud. Cette difficulté vient du fait que l'on confond pays émergents et marchés émergents, souligne Christian Déséglise alors que ce sont "deux notions très différentes".

"La Corée est difficile d'accès sur le marché action et ainsi considéré comme un marché émergent par les investisseurs. Ce n'est pas du tout le cas du fixed income (marché de la dette, ndlr) où la Corée rejoint les marchés développés", affirme-t-il.

Cette confusion est en fait un vice de conception. Car dès le début les émergents ont été définis par une approche de marché. La paternité de cette notion de "marché émergents" revient ainsi à l'économiste néerlandais Antoine Van Agtmael. En 1981, il travaille alors dans une filiale de la Banque mondiale, la Société financière internationale et veut mettre sur pied un fonds pour investir sur les marchés des pays en développement prometteurs. Il veut alors appeler ce fonds "Third World Equity fund" ("le fonds action du tiers monde"!). On lui suggère alors de trouver un nom qui sonne un peu mieux. C'est alors qu'il invente le terme de "marchés émergents".

Trois catégories

Voilà pour la petite histoire. Mais comment classe-t-on les pays dans la catégorie "émergents" par opposition à "développés"? Le critère le plus utilisé reste celui de la Banque mondiale. Cette dernière utilise le revenu national brut (RNB, c'est-à-dire le PIB corrigé de certains flux financiers internationaux, comme les transferts de dividendes d'une filiale basée à l'étranger vers sa maison-mère) par habitant.

A partir de là, elle définit trois catégories à partir de seuils. Jusqu'à 1.045 dollars par habitant, on parle de pays à faibles revenus puis entre 1.045 et 12.736 dollars de pays à revenus moyens. Les pays émergents recoupent ces deux premières catégories. C'est donc au-delà de 12.736 dollars que tout se joue et qu'un pays "émerge". Il convient toutefois de préciser que ce seuil change au au cours du temps, la Banque mondiale le recalculant pour tenir compte des effets de changes par rapport au dollar. Il était ainsi inférieur à 10.000 dollars au début des années 2000.

A partir de là, on peut regarder l'évolution des principaux pays émergents et constater la progression de leur RNB, comme le montre le graphe ci-dessous réalisé par les équipes d'HSBC France à partir des données de la Banque mondiale.

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- © HSBC

Légende: en ordonnée le RNB (GNI en anglais) et en abscisse la période 1990-2014, la plage zébrée correspond à la zone dans laquelle se situe les pays émergents.

On s'aperçoit ainsi que la Corée n'est plus, depuis les années 90, un pays émergent. La République tchèque, elle, a définitivement quitté le groupe en 2004.

Tout un ensemble de pays flirtent avec la limite (la fin de la zone grise zébrée sur le graphe). La Turquie et le Brésil sont juste en-dessous. La Pologne, la Russie et la Hongrie sont sorties de la catégorie "émergentes" mais risquent d'y retourner. C'est d'autant plus vrai pour Moscou qui va devoir faire face à une profonde récession cette année et l'an prochain (-3,8% en 2015 et -0,8% en 2016, selon les prévisions du FMI).

Le Brésil a trébuché juste avant la consécration

Christian Déséglise explique qu'il existe une "zone de danger", lorsque les pays sont en haut de la catégorie à revenus moyens, mais que leur trajectoire fait qu'ils peinent à en sortir définitivement. La quasi-totalité des pays d'Amérique du Sud sont dans cette zone de turbulence, à une exception notable: le Chili qui "bénéficie d'une gouvernance et d'institutions solides", selon Christian Déséglise et est aujourd'hui un pays développé à part entière. 

La Chine, elle, continue son ascension de façon régulière et semble bien armée. Elle est aujourd'hui à 7.380 dollars par habitant. Selon Christian Déséglise, les réformes qu'elle met en place pour orienter davantage son économie vers la consommation et générer ainsi durablement de la richesse pour ses ménages font qu'elle ne sera plus un pays émergent "d'ici à 7 à 10 ans".

Et éviter ainsi l'échec du Brésil qui était sur le point de quitter le groupe des émergents en 2012 mais n'y est jamais arrivé. "Le Brésil est un des pires pays au monde en matière d'économie primaire. De plus, le pays n'investit pas assez (17% du PIB contre 47% en Chine et 35% en Inde), les infrastructures sont faibles, les aéroports sont saturés. Il n'y a pas les réformes structurelles nécessaires. Il n'a ainsi pas créé les conditions pour un vrai décollage économique", explique Christian Déséglise.