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Innovation: quand les majors de l’énergie redeviennent des entrepreneurs

Les géants de l'industrie énergétique ont mis en œuvre des démarches de start-ups pour adresser les marchés émergents.

Les géants de l'industrie énergétique ont mis en œuvre des démarches de start-ups pour adresser les marchés émergents. - © Shutterstock

Fournir des solutions d’accès à l’énergie dans les pays en développement ne se fait pas à partir de modèles économiques classiques. Les géants de l’énergie l’ont appris et ont dû innover sur les plans technologique et marketing. Mais pas seulement…

Total et Schneider Electric sont deux leaders mondiaux de leur catégorie. Le premier dans la production et la distribution de l’énergie, le deuxième dans le management de l’énergie.

Ils ont en commun d’avoir développé, depuis le début des années 2000, des projets d’accès à l’énergie auprès de populations particulièrement défavorisées. Pure philanthropie d’entreprises riches? Pas si simple. La complexité des marchés, la spécificité des territoires et, il faut le souligner, une vision commune de la mission et du rôle d’une l’entreprise énergéticienne, a conduit ces géant à développer plus d’agilité, plus d’écoute et plus d’innovation. Insufflant au passage, au cœur de ces entreprises, un véritable esprit start-up.

La volonté de répondre à tous les besoins en énergie

Au premier abord, on serait tenté de penser que ces mastodontes de l’énergie se concentrent uniquement sur des projets majeurs, -et rémunérateurs-, permettant de répondre aux besoins de leur cœur de marché. Les forages et l’exploitation chez l’un, les villes, quartiers et immeubles chez l’autre et le “core-business“ tourne !

La réalité est plus complexe et l’intégration de la notion de développement durable au début des années 2000 a permis à ces entreprises de pousser la réflexion sur leur rôle et sur la notion de progrès qu’ils portent, notamment dans sa dimension mondiale.

En d’autres termes, peut-on durablement s’implanter et se développer sur certains territoires, notamment ceux des pays en développement, sans envisager de partager le développement avec le plus grand nombre?

À ces réflexions, se sont ajoutées un ensemble de pressions. Celles du climat, de la société civile, de la réputation, de la concurrence. Pour, au final, aboutir sur un “impératif de cohérence” dans la conduite des activités.

Comme le rappelle Christophe Dargnies, Directeur Accès à l'Énergie chez Total, “C’est notre rôle d’apporter de l’énergie au plus grand monde et de le faire par divers moyens. D’un coté, les grosses plateformes, les grosses unités, de l’autre, un programme comme Awango à destination des foyers les plus modestes”.

Approche similaire du côté de Schneider Electric dont le directeur du développement durable, Gilles Vermot-Desroches précise qu'"Il s’agit de cohérence. Le groupe ne pouvait pas définir sa responsabilité sociétale sans considérer qu’il n’y avait pas d’offre pour ces habitants. Notre ambition, c’est de mettre le meilleur de ce notre savoir-faire face à cette réalité, avec des solutions abordables et qui permettent de développement". 

Avec des modèles économiques innovants

La responsabilité sociétale serait donc une source de progrès et d’évolution stratégique de l’entreprise… mais tout en réalisant du chiffre d’affaires.

"En inventant les lumières solaires portables ou les minigrids, l’entreprise est entrée dans une démarche d’innovation productive", confie Gilles Vermot-Desroches, en reconnaissant que pour réussir sur le terrain il faut que l’entreprise s’hybride: "fini le chacun dans son coin, cantonné à sa vocation!".

C’est tout le sens de la notion de business inclusif, c’est à dire permettre à l’entreprise de répondre à sa mission et d’entraîner le développement comme un objectif et pas comme une conséquence. Pour ce faire, les géants de l’énergie s’associent à des microstructures locales: ONG, entrepreneurs sociaux, petites entreprises, organismes de microfinancement. Tous participent à l’élaboration de modèles économiques nouveaux qui pourraient devenir des solutions réplicables ailleurs dans le monde.

Pour Christophe Dargnies "Savoir s’associer à des partenaires qui connaissent ce que nous ne connaissons pas, fait partie du programme", en précisant que le groupe collabore avec des acteurs qui peuvent aller là où Total ne peut aller. Ce fameux dernier kilomètre si difficile et coûteux à joindre. Il peut s’agir de petites entreprises locales, d’acteurs de la télécommunication ou de revendeurs de matériel solaire. "Nous sommes constamment en apprentissage et les solutions de financement sont très importantes".

Apprentissage et découverte sur le terrain semblent être les maîtres-mots d’une activité dont la caractéristique est de réaliser un petit chiffre d’affaires mais d’impacter plusieurs millions de personnes. 

Un laboratoire pour l’entreprise?

Car le bénéfice est aussi ailleurs. Ces marchés sont aussi des laboratoires où se testent les technologies d’une énergie "propre" à bas coût sur la base d’innovations disruptives. Ainsi, le programme mené par Christophe Dargnies peut être considéré comme "un incubateur au sein de Total". Mais un incubateur qui doit maintenir des objectifs de fiabilité, profitabilité et réplicabilité.

Après avoir impacté 5 millions de personnes -avec un million de lampes vendues en 2015-, l’ambition est désormais d’améliorer le quotidien 25 millions de personnes en Afrique à horizon 2020.

Chez Schneider Electric, Gilles Vermot-Desroches évoque volontiers la "reverse technology". Derrière cet anglicisme, le constat que les nouveaux usages qui pointent dans les pays développés, tels que la consommation à l’usage, l’autoconsommation, la consommation communautaire, la production localisée, sont directement concernés par les technologies et les solutions mises en œuvres actuellement dans les pays en développement.

"Je n’ai aucun doute. Ce qu’on invente aujourd’hui avec ces populations, cette proximité de l’usage, sera demain le cœur du réseau électrique des pays développés" conclut Gilles Vermot-Desroches.

Ces projets semblent dont réconcilier le temps long et l’entreprise en donnant des résultats -certes modestes- aujourd’hui, mais en promettant des débouchés plus conséquents demain.

Un vocabulaire qu’on aurait cru réservé aux seules start-ups ! 

Une posture d’entrepreneurs

À l’heure où beaucoup de majors, du monde de l’énergie ou pas, ont tendance à confier l’innovation à des incubateurs extérieurs, ces deux exemples, assez semblables, semblent dire que l’entrepreneuriat -ou l’intrapreneuriat en l’occurrence- a encore sa place en interne.

Ce que confirme Christophe Dargnies: "Nous apprenons, nous connaissons des succès et des échecs, mais nous avançons. Et nous sommes heureux que notre groupe ait ces ambitions et engagements”.

Gilles Vermot-Desroches complète: "Dans cette démarche, nous apprenons beaucoup et nous avons besoin de faire preuve d’humilité. Nous sommes à un moment particulier d’une prise de conscience sur des enjeux planétaires qui sont autant d’accélérateurs d’innovations. L’électricité sera le premier terrain d’application de toutes ces innovations". 

Chacun de ces géants regardera avec attention les résultats des accords de la COP21 de décembre prochain, qui favoriseront -ou pas- les investissements bas carbones, y compris dans les pays en développement.

L’étape suivante sera le transfert des compétences vers des populations et des territoires qui devront s’approprier l’installation, la maintenance, le financement de ces technologies. Un chantier en forme de défi pour les dix prochaines années.

Découvrez la réponse TOTAL

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Yves Cappelaire