1974-75. L'informatique se pique d'éthique
Les données publiques ne seront pas fusionnées. Une Commission Libertés et Informatique. Le ' fichier commun ' ne verra pas le jour.
Avril 1974
La mise en commun des fichiers administratifs fait peser un risque sérieux sur la confidentialité des données, et plus largement sur la protection des libertés individuelles. Le Chef du gouvernement, M. Pierre Messmer, a donc décidé de suspendre les démarches en cours de centralisation des bases de données dans l'attente d'une concertation sur le sujet. Afin de déterminer si ce ' fichier central ' est attentatoire à la vie privée et de répondre aux innombrables questions posées par l'émergence des grands systèmes informatiques, M. Messmer a demandé au Garde des Sceaux de mettre en place une commission ' Libertés et Informatique '. ' En attendant que cette commission ait déposé ses conclusions, aucune interconnexion entre systèmes informatiques dépendants de ministères différents ne sera autorisée et aucun développement de systèmes existants ne devra être entrepris ', a déclaré le Premier ministre. Il est dans les habitudes des informaticiens d'affirmer que l'informatique ne changera rien dans l'utilisation des fichiers, car ceux-ci existent depuis toujours. Jusqu'alors, la garantie résidait dans la dispersion de ces fichiers, et dans la difficulté de leur manipulation manuelle. Mais les travaux en cours en vue du développement d'un Cobol commun aux différentes administrations rendent désormais possible des connexions entre les systèmes, même s'il est difficilement concevable qu'une véritable base de données unique regroupant tous les fichiers voie le jour. Le fait qu'une autorité, fut-elle une émanation de l'État, puisse détenir de telles possibilités est jugé intolérable par l'opinion publique. À l'heure où les notions de technique et d'éthique se confrontent de manière si abrupte, suscitant un véritable débat de fond sur la question de la protection des libertés individuelles, la création d'un organe consultatif véritablement indépendant apparaît donc comme une nécessité. L'enjeu en est la mise en place de mécanismes de protection des données confidentielles, d'autant plus complexes à définir qu'ils auront des implications qu'on peine encore à mesurer sur l'organisation de la société.
C'est une petite bombe qu'IBM lance sur le marché avec le Système 32. Une petite bombe apprêtée pour séduire les plus réticents des acheteurs informatiques. Pour IBM, il s'agit ni plus ni moins de ' l'ordinateur de gestion le plus facile à employer, le plus petit et le moins cher jamais annoncé '. Il est vrai qu'à un tel niveau de performances (16 à 32 Ko pour l'unité centrale, 5 à 9 Mo sur disque fixe, un écran de visualisation, une imprimante et une unité à disquette) le prix de location du Système 32 est des plus attractifs : environ 4 500 F par mois, soit environ 200 000 F en valeur vente. Certes, il existe déjà sur le marché des appareils à des prix équivalents offrant des caractéristiques au moins égales à celles du Système 32. Son mode de commercialisation, en revanche, est véritablement innovant. Plus d'études spécifiques ni de sur-mesure. L'appareil n'est pas configuré en fonction du client mais proposé en standard sur catalogue. Pas plus de développement en ce qui concerne les applications, fournies en standard. On imagine l'investissement qu'une telle démarche a entraîné car, pour jouer ce jeu, il faut le jouer à coup sûr. La véritable inconnue reste la réaction des utilisateurs, qui pourraient demeurer insensibles à une solution toute faite, fut-elle aisée à mettre en ?"uvre. Mais un prêt-à-porter de bonne facture ne vaut-il pas mieux qu'un sur-mesure bricolé ?
Unidata a vécu. Les intérêts particuliers ont finalement eu raison du projet informatique européen deux ans seulement après son lancement. L'annonce du retrait de Philips porte à n'en pas douter un coup fatal à l'alliance de trois des plus beaux fleurons de l'informatique européenne. Mais le départ du constructeur hollandais n'est pas la seule raison de l'échec du projet. Pour parvenir à ses fins, et se positionner durablement sur la scène internationale, Unidata exigeait en effet un engagement sans faille de ses trois fondateurs. Or, si Siemens peut difficilement être accusée de n'avoir pas donné toutes ses chances au projet, la CII, en grande difficulté financière au moment de la signature des accords, n'a jamais semblé en mesure de faire face à ses engagements vis-à-vis du consortium. La brouille entre CGE et Thomson, ses deux actionnaires de référence, n'a pas arrangé les choses. Quant à sa fusion annoncée avec l'américain Honeywell-Bull, elle entre en contradiction avec l'esprit d'Unidata. Résultat, l'ex-éléphant européen n'aura finalement accouché que d'une ' souris ', avec le 7720, système pourtant bien né, mais qui restera, faute de développements, comme la matérialisation d'une nouvelle désillusion, bien européenne cette fois.
L'annonce de la série 60 par Jean-Pierre Brulé, le PDG d'Honeywell Bull, est un remarquable coup d'éclat. En effet, ce ne sont pas moins de dix modèles que la compagnie s'apprête à mettre sur le marché, rompant avec les habitudes de la profession, qui veulent qu'on annonce un à un les modèles d'une gamme, un an parfois avant leur livraison finale. Mieux, pour la première fois, trois d'entre eux ont été montrés en fonctionnement, équipés de leurs logiciels. Avec cette série, Honeywell Bull se dote de l'ensemble homogène qui lui a trop longtemps fait défaut. Du 61, configuration la plus ' modeste ' du lot, au 68, et ses 4 Mo de mémoire, la firme ambitionne en effet de couvrir l'ensemble des besoins du marché. De nouveaux périphériques sont également au rendez-vous, ainsi que de nombreuses innovations technologiques ?" au premier chef l'abandon des tores de ferrite pour les semi-conducteurs ?" pour faire de cette nouvelle gamme 60 le fer de lance de la stratégie du groupe pour les dix ans à venir. Jean-Pierre Brulé ne s'y trompe d'ailleurs pas, lui qui voit dans cette annonce ' l'accomplissement final de la fusion de 1970 '.
La mise en commun des fichiers administratifs fait peser un risque sérieux sur la confidentialité des données, et plus largement sur la protection des libertés individuelles. Le Chef du gouvernement, M. Pierre Messmer, a donc décidé de suspendre les démarches en cours de centralisation des bases de données dans l'attente d'une concertation sur le sujet. Afin de déterminer si ce ' fichier central ' est attentatoire à la vie privée et de répondre aux innombrables questions posées par l'émergence des grands systèmes informatiques, M. Messmer a demandé au Garde des Sceaux de mettre en place une commission ' Libertés et Informatique '. ' En attendant que cette commission ait déposé ses conclusions, aucune interconnexion entre systèmes informatiques dépendants de ministères différents ne sera autorisée et aucun développement de systèmes existants ne devra être entrepris ', a déclaré le Premier ministre. Il est dans les habitudes des informaticiens d'affirmer que l'informatique ne changera rien dans l'utilisation des fichiers, car ceux-ci existent depuis toujours. Jusqu'alors, la garantie résidait dans la dispersion de ces fichiers, et dans la difficulté de leur manipulation manuelle. Mais les travaux en cours en vue du développement d'un Cobol commun aux différentes administrations rendent désormais possible des connexions entre les systèmes, même s'il est difficilement concevable qu'une véritable base de données unique regroupant tous les fichiers voie le jour. Le fait qu'une autorité, fut-elle une émanation de l'État, puisse détenir de telles possibilités est jugé intolérable par l'opinion publique. À l'heure où les notions de technique et d'éthique se confrontent de manière si abrupte, suscitant un véritable débat de fond sur la question de la protection des libertés individuelles, la création d'un organe consultatif véritablement indépendant apparaît donc comme une nécessité. L'enjeu en est la mise en place de mécanismes de protection des données confidentielles, d'autant plus complexes à définir qu'ils auront des implications qu'on peine encore à mesurer sur l'organisation de la société.
Le Système 32, ou la fin du sur-mesure
Un système à disquettes pour moins de 5 000 F par mois. IBM prend une longueur d'avance.Janvier 1975C'est une petite bombe qu'IBM lance sur le marché avec le Système 32. Une petite bombe apprêtée pour séduire les plus réticents des acheteurs informatiques. Pour IBM, il s'agit ni plus ni moins de ' l'ordinateur de gestion le plus facile à employer, le plus petit et le moins cher jamais annoncé '. Il est vrai qu'à un tel niveau de performances (16 à 32 Ko pour l'unité centrale, 5 à 9 Mo sur disque fixe, un écran de visualisation, une imprimante et une unité à disquette) le prix de location du Système 32 est des plus attractifs : environ 4 500 F par mois, soit environ 200 000 F en valeur vente. Certes, il existe déjà sur le marché des appareils à des prix équivalents offrant des caractéristiques au moins égales à celles du Système 32. Son mode de commercialisation, en revanche, est véritablement innovant. Plus d'études spécifiques ni de sur-mesure. L'appareil n'est pas configuré en fonction du client mais proposé en standard sur catalogue. Pas plus de développement en ce qui concerne les applications, fournies en standard. On imagine l'investissement qu'une telle démarche a entraîné car, pour jouer ce jeu, il faut le jouer à coup sûr. La véritable inconnue reste la réaction des utilisateurs, qui pourraient demeurer insensibles à une solution toute faite, fut-elle aisée à mettre en ?"uvre. Mais un prêt-à-porter de bonne facture ne vaut-il pas mieux qu'un sur-mesure bricolé ?
Marché : Unidata, feu de paille européen
Philips dénonce les accords européens. Un consortium bancal dès sa création. La CII se tourne vers Honeywell.Septembre 1975Unidata a vécu. Les intérêts particuliers ont finalement eu raison du projet informatique européen deux ans seulement après son lancement. L'annonce du retrait de Philips porte à n'en pas douter un coup fatal à l'alliance de trois des plus beaux fleurons de l'informatique européenne. Mais le départ du constructeur hollandais n'est pas la seule raison de l'échec du projet. Pour parvenir à ses fins, et se positionner durablement sur la scène internationale, Unidata exigeait en effet un engagement sans faille de ses trois fondateurs. Or, si Siemens peut difficilement être accusée de n'avoir pas donné toutes ses chances au projet, la CII, en grande difficulté financière au moment de la signature des accords, n'a jamais semblé en mesure de faire face à ses engagements vis-à-vis du consortium. La brouille entre CGE et Thomson, ses deux actionnaires de référence, n'a pas arrangé les choses. Quant à sa fusion annoncée avec l'américain Honeywell-Bull, elle entre en contradiction avec l'esprit d'Unidata. Résultat, l'ex-éléphant européen n'aura finalement accouché que d'une ' souris ', avec le 7720, système pourtant bien né, mais qui restera, faute de développements, comme la matérialisation d'une nouvelle désillusion, bien européenne cette fois.
Technologie : Honeywell Bull sort le grand jeu
Avril 1974L'annonce de la série 60 par Jean-Pierre Brulé, le PDG d'Honeywell Bull, est un remarquable coup d'éclat. En effet, ce ne sont pas moins de dix modèles que la compagnie s'apprête à mettre sur le marché, rompant avec les habitudes de la profession, qui veulent qu'on annonce un à un les modèles d'une gamme, un an parfois avant leur livraison finale. Mieux, pour la première fois, trois d'entre eux ont été montrés en fonctionnement, équipés de leurs logiciels. Avec cette série, Honeywell Bull se dote de l'ensemble homogène qui lui a trop longtemps fait défaut. Du 61, configuration la plus ' modeste ' du lot, au 68, et ses 4 Mo de mémoire, la firme ambitionne en effet de couvrir l'ensemble des besoins du marché. De nouveaux périphériques sont également au rendez-vous, ainsi que de nombreuses innovations technologiques ?" au premier chef l'abandon des tores de ferrite pour les semi-conducteurs ?" pour faire de cette nouvelle gamme 60 le fer de lance de la stratégie du groupe pour les dix ans à venir. Jean-Pierre Brulé ne s'y trompe d'ailleurs pas, lui qui voit dans cette annonce ' l'accomplissement final de la fusion de 1970 '.