Accessibilité numérique : l'Administration bientôt exemplaire ?

Avec la version 3.0 du référentiel RGAA, les sites et applications de la fonction publique peuvent être accessibles aux personnes en situation de handicap, tout en intégrant des dernières évolutions du web.
Moins de 4 % des sites de l’Administration seraient accessibles aux personnes handicapées selon l'association BrailleNet. Et encore ne s’agit-il que les administrateurs qui, en mai 2013, avaient rempli une déclaration de conformité au Référentiel général d’accessibilité pour les administrations (RGAA). Ce qui ne présume en rien qu'ils étaient jusqu'au bout de la démarche. Dans le département des Yvelines, seule une commune sur les 78 étudiées par la société Com’access s’est ainsi déclarée conforme.
Une proportion très basse alors que le décret du 14 mai 2009 imposait, à partir de sa publication, une mise en œuvre de l’accessibilité de tous les services en ligne sites, intranets, applications internes… - de l'Etat et de trois ans pour ceux des collectivités territoriales. La loi du 11 février 2005 précisait, elle, que « la personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l’origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie. »
L’accessibilité numérique est pourtant un sujet de société majeur. Déficiences visuelles ou auditives, handicap moteur ou cognitif…. Selon une enquête de l’Insee, un français sur cinq dit éprouver des difficultés importantes à l’accès aux services en lignes et autres téléprocédures. Il existe bien des technologies pour réduire ce handicap comme les agrandisseurs d’écran, les claviers braille, les dispositifs de pointage ou les moteurs de synthèse vocale. Toutefois, si les sites web ne respectent pas les standards d’accessibilité lors de leur développement, la navigation relève du parcours du combattant.
« On peut faire du web moderne tout en le rendant accessible »

Heureusement, les choses bougent dans le bon sens. Les (fausses) excuses qui prévalaient – complexité de mise en œuvre, appauvrissement fonctionnel – vont être battues en brèche avec la version 3.0 du RGAA. Cette dernière mouture prend en compte les dernières évolutions technologiques du web, en particulier HTML 5 et ARIA qui structurent et permettent de réconcilier accessibilité numérique et sites web ou applications riches.
« Le RGAA 2.0 imposait des alternatives à JavaScript, le RGAA 3.0 rend cette obligation obsolète au travers le support de HTML5 », se réjouit Philippe Bron, architecte à la Direction interministérielle des systèmes d'information et de communication (Disic). C'est un changement majeur. On peut faire du web moderne et riche aujourd'hui tout en le rendant accessible. RGAA 3.0 prend en compte les évolutions du web applicatif. »
La version bêta du RGAA 3.0 a été ouverte à un petit groupe interne à l'Administration puis à la communauté AccessiWeb et enfin à tous. Encadrée par la Disic, cette phase d'appel à commentaires publics s'est terminée le 31 octobre et a permis de recolter 190 questions et remarques. Une fois ces dernières intégrés, le référentiel passera en commission entre mi-novembre et début décembre. L'arrêté pour déclarer la version 3.0 en vigueur devrait intervenir courant décembre.
A l’aide de ressources comprenant notamment des tutoriels et une liste de composants web, le RGAA aide les développeurs à rendre leurs contenus accessibles. Les développeurs déjà formés au référentiel AccessiWeb y retrouveront leurs petits. Ce denier, placé sous licence libre par l'association BrailleNet, étant appelé à ne faire qu’un avec le RGAA. A noter que le RGAA est conforme aux WCAG (web content accessibility guidelines), la norme internationale de l'accessibilité numérique, devenue un standard ISO depuis octobre 2012.

Accessibilité numérique et accessibilité des bâtiments, même combat
Pour Armony Altinier, cofondatrice du cabinet spécialisé Access42 et partie prenante de la mise à jour du RGAA, cette version 3.0 marque un grand pas dans l’accessibilité globale. « Les personnes en situation de handicap sont d'autant plus demandeuses que ce sont de grandes utilisatrices de l'e-administration. Nombre d’entre elles prennent leur ordinateur pour faire leurs démarches administratives faute de pouvoir se rendre en mairie, en préfecture. »
Il faut rendre accessible numériquement une fonction publique qui ne l'est pas toujours physiquement. « C'est à la fois plus simple et moins coûteux que poser des rampes, prévoir des ascenseurs dans les bâtiments. Mais bien entendu, ce n'est qu'en pensant une accessibilité universelle, tant physique que numérique, que nous pourrons obtenir une société réellement inclusive. »
Dans les grands principes, la mise en conformiste consiste à proposer des équivalents textuels à des contenus qui ne les sont pas, de rendre toutes les fonctionnalités accessibles au clavier et optimiser la compatibilité avec les technologies d’assistance. A l’inverse, des contenus sont à proscrire comme ces animations qui sur le site des derniers Jeux Olympiques ont provoqué des crises d'épilepsie. Enfin, l'accessibilité renvoie aussi à la notion de compensation. Si un contenu n'est pas accessible, il faut offrir une alternative. « On peut par exemple reprendre le contenu d'un PDF sur une page web ou proposer d'en envoyer une version accessible par mail », illustre Armony Altinier.
L’accessibilité, un vrai « marché » pour les prestataires

Le coût de l'accessibilité ? « Ce n'est pas forcément plus cher, estime Armony Altinier. Il s'agit surtout de mettre son contenu en conformité avec les standards du langage, sauf pour les vidéos pour lesquelles il faut prévoir un budget supplémentaire (transcription, sous-titrage, audiodescription si nécessaire). » Selon elle, cela demande une prise en compte tout au long de la vie du projet, dès le cahier des charges jusqu'au recettage et à la mise à jour continue du site. « Le plus difficile c'est de changer ses habitudes pour intégrer l'accessibilité. C'est moins une question technique que de volonté. » Sachant que le FIPHFP, le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, peut participer au financement de cette mise aux normes.
Avec le RGAA 3.0, les prestataires seront aussi davantage impliqués sachant que pour concevoir et maintenir leurs milliers de sites, la fonction publique fait un large appel à l'externalisation. « Problème, si dans les appels d'offres, il y a toujours la mention de mise en conformité au RGAA mais c'est juste un copié-collé, déplore Armony Altinier. La conformité est rarement vérifiée derrière par le donneur d'ordre ou, s'il le fait, ce n'est pas par un audit indépendant. »
Dans le guide d’accompagnement du RGAA 3.0, il est recommandé que l'audit de conformité soit réalisé par des personnes indépendantes au projet (qu’elles soient internes à l’administration ou prestataire). Prestataires, préparez-vous, un marché s'ouvre à vous !
L’accessibilité passe, enfin, par une sensibilisation des développeurs de l’Administration. « Il faut accompagner le changement par des actions de communication, des supports de formation, avance Philippe Bron. A la Disic, on réfléchit aussi à la façon de valoriser les sites vertueux sous forme de label ou de certification. »
Avec, espère de son côté Armony Altinier, un effet d’entraînement dans la sphère privée. « Certains sites privés, même s'ils ne sont pas contraints par la loi, arborent le label AccessiWeb. C'est une manière de soigner leur communication mais aussi pour les sites d'e-commerce de ne pas se priver d'une clientèle importante, de 15 à 20 % de la population. »