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C'est la première fois que des constructeurs télécoms des deux côtés de l'Atlantique fusionnent. Le renforcement des capacités d'innovation et la réduction des coûts sont les grands objectifs de l'opération.
Après cinq ans de fiançailles, de rupture, puis de retrouvailles ?" et malgré les bisbilles politiques entre les deux côtés de l'Atlantique ?" Alcatel et Lucent vont se marier. Les bans viennent d'être publiés. L'union
devrait être consommée avant un an. Le nom de la nouvelle société n'est pas encore connu.Pour les uns, cette fusion est défensive. L'union faisant la force, la nouvelle société appartient au tiercé gagnant des fournisseurs de technologies télécoms (optique, large bande, mobiles...). De quoi mieux résister à la
déferlante chinoise qui s'annonce. Pour les autres, au contraire, l'union est offensive. Les deux concurrents d'hier disposeront de plus de moyens en recherche et développement pour préparer l'avenir.Les deux points de vue sont sans doute vrais, comme en témoigne l'analyse de Serge Tchuruk. Pour lui, la porte du succès s'ouvre avec deux clés. La première se nomme l'innovation et la seconde la compétitivité, avec un abaissement des
coûts de revient. En regroupant leurs bataillons de chercheurs, Alcatel et Lucent vont aligner une armée de 26 000 ingénieurs : 15 500 provenant du premier et 10 500 du second. Ils se reposeront sur un trésor de guerre de 2,5
milliards d'euros par an (1,4 milliard amené par Alcatel et 1 milliard par Lucent). Ils s'appuieront sur un patrimoine intellectuel de 25 000 brevets (10 000 chez l'un et 15 000 chez l'autre).
Garder une longueur d'avance sur les Chinois
Cette forte mobilisation dans la R&D se justifie, car, selon Serge Tchuruk, les réseaux de demain restent à inventer. Dans cette course à l'innovation, il faut garder une longueur d'avance sur les Chinois, qui cassent les prix,
mais n'innovent pas. C'est le premier objectif de la fusion entre Alcatel et Lucent. L'arrivée du protocole IP est une rupture technologique qui secoue le secteur des télécoms. Issu des réseaux informatiques, IP remet en question les positions
acquises par les constructeurs historiques. Cette nouvelle donne technologique entraine dans son sillage l'informatique qui sera demain omniprésente dans les télécoms. Elle générera de nouveaux services combinant voix, données et image, réseaux
fixes et réseaux pour mobiles. Les progrès technologiques en électronique et en optoélectronique amènent le large bande quasiment partout.Encore faut-il ' tenir ' jusqu'au déploiement à grande échelle de ces nouveaux réseaux par les opérateurs. Or la concurrence est rude. Cisco, champion de l'IP, se fait doucement une place
dans les télécoms, même si l'activité ' Entreprises ' reste dominante. Le danger vient surtout des constructeurs chinois, aux prix imbattables. C'est la seconde raison de la fusion : en s'unissant,
les deux constructeurs tablent sur des économies d'échelle. Les gains de fonctionnement sont évalués à 1,4 milliard d'euros sur trois ans, dont la plus grande part les deux premières années. Côté géographique, à eux deux, ils couvrent idéalement le
monde. En outre, unis, Alcatel et Lucent pèseront 21 milliards d'euros contre 13 pour Alcatel et 8 pour Lucent. De quoi faciliter la négociation face à des géants comme AT&T qui reconstitue son empire outre-Atlantique.Sur le papier, l'opération semble idéale. Mais tout n'est pas gagné et beaucoup de points restent à régler. Des complémentarités existent dans les gammes de produits. Ainsi, Alcatel est le champion de l'accès large bande (xDSL),
tandis que Lucent est l'un des pionniers des fameux c?"urs de réseau de demain : l'IMS (IP Multimédia Subsystem). Mais des recouvrements subsistent. C'est l'exemple de l'optique, où chacun revendique des places de choix. Dans les réseaux
d'agrégation de trafic, Alcatel aligne sa propre gamme de routeurs de services, alors que Lucent vient d'acquérir Riverstone pour étoffer son offre. Il va falloir arbitrer.
9 000 suppressions d'emplois prévues
Paradoxalement, cette union ne parvient cependant pas à combler une lacune de taille : les réseaux UMTS. Lucent est le champion du CDMA. Malheureusement, cette technologie, en perte de vitesse, est principalement déployée en
Amérique du Nord. Quant à Alcatel, il tire le principal de ses recettes des réseaux 2 et 2,5G. Lorsqu'on voit l'importance prise par les réseaux 3G et leurs évolutions, les deux jeunes mariés ont du pain sur la planche.Parmi les épreuves à surmonter, le côté humain n'est pas à minimiser. Si la rationalisation des moyens entre les deux sociétés engendre des réductions de coûts, elle comporte un volet social douloureux : 9 000 emplois
devraient être supprimés. On ignore encore où et dans quels secteurs. Autre difficulté, d'ordre culturel, la future société sera de droit français et basée à Paris. Mais elle sera dirigée par Patricia Russo, l'actuel PDG de Lucent. Comment un patron
américain va-t-il se couler dans ce moule ? A moins que l'américanisation progressive de cette société ne règle en douceur la question des différences de culture. D'ores et déjà, les fonds d'investissements d'outre-Atlantique comptent parmi les
premiers actionnaires et la direction pourrait devenir de plus en plus anglo-saxonne.
Des concurrents discrets
Reste à savoir si cette fusion est le prélude à d'autres opérations semblables. Le lapsus commis par Serge Tchuruk pendant la conférence de presse entrouvre des perspectives. Il a cité Nortel en voulant parler de Lucent. Et si Nortel
était le prochain sur la liste ? Pourquoi pas un mariage à trois dans quelque temps ? Les concurrents, eux, restent discrets. Seul Ericsson a réagi par la voix de son PDG Carl-Henric Svanberg. Interrogé par un journal suédois, il a déclaré
qu'il n'était pas intéressé par ce genre d'accord. Pour lui, Ericsson est courtisé, mais n'a nul besoin d'un allié. Il faut dire que le champion des infrastructures de réseaux pour mobiles est paré. Il a acheté, fin 2005, pour deux milliards
d'euros, le Britannique Marconi. Celui-ci renforce son catalogue dans les réseaux fixes. Les opérateurs ne se sont pas non plus bousculés pour commenter la fusion entre le Français et l'Américain. Finalement, cette opération pourtant historique
s'est déroulée dans un silence assourdissant.j.desvouges@01informatique.presse.fr
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