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L'arrivée à la retraite des générations nées au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale affecte depuis l'an dernier la fonction informatique. Enquête.
Attention, sujet tabou ! Au lieu de répondre à la simple question : ' Qu'avez-vous prévu pour anticiper les nombreux départs à la retraite qui s'annoncent ? ',
les responsables informatiques bottent en touche. Sur une soixantaine de demandes d'information, quelques rares entreprises ont accepté de s'exprimer. Pour les autres, circulez, il n'y a rien à dire ! Le Crédit Agricole,
Banque Populaire ou AG2R ne souhaitent pas communiquer, tandis que la RATP estime que c'est une ' histoire ancienne ', sur laquelle elle ne souhaite pas revenir.Politique de l'autruche ? Si les dangers du papy-boom restent flous dans les esprits ?" notamment du fait de la perspective de l'élévation programmée de l'âge de la retraite ?", il
s'agit de tout sauf d'un faux problème. L'arrivée à la retraite des générations nées au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale affecte depuis l'an dernier la fonction informatique. L'Observatoire de
l'évolution des métiers de l'assurance prévoit ainsi, sur la base des effectifs de 2002, que près d'un informaticien du secteur sur deux aura 50 ans ou plus en 2010.Même les prestataires, connus pour leur jeunisme, ne sont pas épargnés par ce phénomène en voie d'accélération. En 2006, l'Apec enregistrait ainsi 2 210 départs à la retraite au sein des SSII, constructeurs
et éditeurs, contre 850 en 2003 et 380 en 2001. Et la chambre syndicale Syntec Informatique note que 42 % de ses collaborateurs dépassent les 40 ans.Si la profession présente une pyramide des âges moins vieillissante que d'autres, elle subira tout autant le choc démographique que la fonction commerciale ou comptable. Avec un décalage dans le temps. Rappelons que les
informaticiens opèrent dans les entreprises depuis les années 60.' Avec les efforts de productivité engagés par le secteur et les vagues régulières de jeunes diplômés, cela donne une courbe de Gauss plus aplatie que pour d'autres métiers ',
tempère Patrick Rataud, directeur des opérations chez Micro Focus France. Tout en précisant que ' le problème se pose malgré tout dès maintenant, et il culminera dans une dizaine d'années '.
Quels sont les profils et secteurs concernés ?
En toute logique, les secteurs pionniers en informatique de gestion apparaissent les premiers touchés. A savoir les banques, les sociétés d'assurances, mais également les services publics ainsi que les caisses de retraite. Ces
dernières emploient bon nombre de bâtisseurs historiques de grands systèmes, en âge de prétendre à une retraite bien méritée. Par exemple, la DSI du Crédit du Nord verra partir la moitié de ses troupes d'ici à 2012, en particulier au
sein de ses équipes d'exploitation et de production.Ces experts travaillent sur des applications correspondant au c?"ur de métier de l'entreprise. Ils évoluent dans des environnements IBM ou Bull Gecos, et manient des technologies Cobol, MVS, CICS ou DB2. Leur départ peut se
solder par diverses incidences sur l'assistance technique, de même que sur l'administration des infrastructures, compte tenu des spécificités de ces plates-formes.' La compétence ne porte pas tant sur la technologie ?" en soit secondaire, il est possible de former des jeunes recrues au Cobol en un temps record ?" que sur la transmission de connaissances
organisationnelles, avance Patrick Rataud. Il y a des notions d'exploitation ou d'ordonnancement qui ont été mis en ?"uvre pendant des années afin d'obtenir le "zéro
arrêt". ' Et quelques mois ne suffisent pas pour transmettre cet acquis métier.Le papy-boom ne concerne pas seulement les techniciens. En plus faible nombre, on trouve également des quinquagénaires et des sexagénaires parmi les cadres dirigeants : DSI, directeurs de service ou de projet. Des fonctions clés
dont le remplacement mérite l'élaboration d'un plan de succession.
Peut-on parler d'une pénurie de compétences ?
Richard Peynot, analyste senior chez Forrester Research, note : ' Il existe un risque réel d'une pénurie de compétences sous les effets conjugués du papy-boom et de la désaffection des étudiants pour
les filières scientifiques. Facteur aggravant : à l'école, les jeunes n'apprennent plus Cobol ou même Ada. 'Et si les DSI ne renouvellent pas en totalité les armées de cobolistes sur le départ, il leur faudra conserver des ressources pour l'exploitation et la maintenance des applications existantes. Pour les années à venir, IBM chiffre
à 20 000 le nombre de spécialistes en grands systèmes qui feront défaut dans le monde. Associé au club d'utilisateurs Guide Share, il a lancé l'opération zNextGen, qui vise à sensibiliser les jeunes diplômés à
l'environnement grand système. En France, le constructeur a noué des accords avec des écoles de premier plan comme l'Esial et l'Epita.A l'IUT Nancy-Charlemagne, Nadia Bellalem, la responsable du département informatique, a repris l'enseignement du Cobol que son prédécesseur avait maintenu. ' Les étudiants n'ont pas
d'affinité naturelle avec ce langage. Il faut leur rappeler son importance. Le simple fait de retirer de l'argent à un distributeur automatique met en action des programmes écrits de longue date en Cobol et qu'il faut
maintenir. 'Etalé sur deux années, le module dure une soixantaine d'heures. ' Au terme, l'étudiant sait manipuler ce langage. Il possède les bases pour aller plus loin s'il le
veut. ' Un atout de plus sur un curriculum vitae. Du fait de la proximité du Grand-Duché, des banques luxembourgeoises proposent des stages de fin d'études qui se transforment en embauches. Les tensions sur le marché
de l'emploi sont d'autant plus fortes que l'on se situe dans un bassin peu dynamique. Il est ainsi plus difficile d'attirer à Niort, la capitale des mutuelles d'assurances, qu'en Ile-de-France.
Quelles parades mettre en ?"uvre ?
Une chose est sûre : le papy-boom ne créera pas l'appel d'air attendu. ' Par opportunisme, un certain nombre de DSI ne recruteront pas en "un pour un" et en profiteront pour
externaliser davantage ', estime Richard Peynot. Voici quelques années, Jean-François Perret, de Pierre Audoin Consultants, avançait : ' Seuls un tiers ou un quart des partants seront
remplacés. ' Une réduction des effectifs souhaitée, voire accélérée, par la mutualisation des ressources ou bien les préretraites. Le papy-boom profitera donc avant tout aux prestataires.' Les DSI se rassurent en se disant qu'ils trouveront toujours les compétences en faisant appel à des cabinets comme le nôtre ou à des SSII ', tranche Lindo Casagrande, dirigeant de
PAC Recrutement. A charge pour les sociétés de services de s'organiser en conséquence. Ce qu'elles font. Aedian recrute de jeunes informaticiens, des Miagistes, ainsi que des diplômés de physique ou d'électronique
qu'elle forme en six semaines environ aux grands systèmes.Acti propose à des demandeurs d'emploi de se reconvertir ou va chercher ces compétences rares dans la francophonie (Maroc, Liban, Madagascar...). Par ailleurs, la raréfaction des ressources pourrait favoriser
l'offshore. Ainsi, des SSII indiennes, à l'image de Wipro, forment en masse à Cobol.Si les DSI font le pari de l'externalisation, ils tablent aussi sur la technologie. Les services Web, l'encapsulage de composants ou le mode ASP permettent d'établir des passerelles avec les technologies Web
sans remettre en cause les applications existantes ni, surtout, refondre les processus métiers. L'abandon du grand système n'est pas encore à l'ordre du jour.' Cet environnement supporte l'activité de l'entreprise, rappelle Patrick Rataud. Obtiendra-t-on le même degré de performance ? Cela exige une analyse du risque et un plan
de migration. ' Le grand chantier de la décennie à venir.
Comment cartographier ces compétences ?
Non seulement le renouvellement ne se fera pas selon un mode ' un pour un ', mais le profil des recrues différera de celui des partants. Avec une élévation du niveau de compétence. Les bataillons de
développeurs ou d'exploitants feront place à des architectes sécurité, des urbanistes, des chefs de projet offshore ou des gestionnaires de contrats d'infogérance. Un tel remaniement de l'organigramme suppose de cartographier
les ressources, d'identifier les compétences à conserver et de cerner les manques.Puis de bâtir le plan d'action adéquat : recrutement, mobilité interne, reconversion, formation, transfert de compétences, fidélisation, voire maintien en place des seniors quelques années de plus. En résumé, il
s'agirait de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC). Cette tâche serait rarement accomplie. ' La DRH ne connaît pas grand-chose aux métiers de l'informatique. Elle demande à la DSI
ses besoins, qui regarde les catalogues des organismes de formation, et l'on construit des plans ainsi ', résume Jean-Michel Brunet, consultant de Cegos.A cela s'ajoutent des relations pas toujours harmonieuses. ' Tenant les cordons de la bourse, les DRH opposent aux DSI le manque de visibilité, estime Lindo Casagrande. Comment recruter
une compétence, si l'on ne sait pas exactement quel sera son rôle demain ? 'Pour Richard Peynot, la population des informaticiens, auparavant la plus agile de l'entreprise, se serait sclérosée. ' A force de changer sans cesse de technologies, on a fini par les essouffler. On voit
des seniors rechercher un poste de maintenance pour être tranquilles pendant dix ans. 'Directeur associé d'Orga Consultants, Thierry Laplanche défend un avis moins tranché. Depuis deux ou trois ans, son cabinet a mené quelques projets de GPEC, notamment au sein des DSI de la Caisse d'Epargne, d'Air
France ou de La Poste.
Comment réaliser le transfert de connaissances ?
Outre la relève, il convient de préparer le passage de relais. La formalisation des processus et la documentation technique ne suffisent pas. Sur les postes clés, la transmission des connaissances informelles nécessite une période de
chevauchement d'un an au minimum entre le partant et son successeur. Or le temps s'avère souvent compté, regrette Patrick Rataud.' Il faut former des jeunes au Cobol, mais aussi les rendre capables de retranscrire les besoins fonctionnels, de travailler en groupe, de mener un projet. Hélas, la pression devient telle aujourd'hui que
les recrues n'ont pas le temps de prendre leurs marques. 'A cet égard, l'organisation mise en place au Centre national des études spatiales (Cnes) semble exemplaire. Là, chaque personne dotée d'une compétence essentielle voit retracer son parcours professionnel et recenser
l'ensemble de sa production (documents, projets...). Cette documentation est structurée par une série d'entretiens, sachant que l'intéressé garde la main sur ce qui en sera conservé. ' C'est un
travail de cogniticien, juge Amin Mamode, DSI. Nous ciblons les connaissances implicites, informelles, et les traduisons sous forme d'arbres de connaissances. ' Dans le cas d'un
informaticien, il s'agira, entre autres, de détailler les fonctions techniques ou les méthodologies appliquées aux logiciels embarqués dans les satellites. Le successeur pourra ensuite cheminer dans cet outil de mémoire à partir de mots clés.Par ailleurs, le tutorat y est favorisé. Dès qu'un collaborateur atteint 57 ans, le centre anticipe son remplacement par le recrutement d'un jeune âgé de 23 à 35 ans. Ce qui procure entre trois et huit ans de
recouvrement avant son départ effectif. Ce compagnonnage valorise la fin de carrière : les seniors ne se sentent pas écartés et restent motivés jusqu'à la fin.
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