Alex Türk (Cnil) : ' nos moyens demeurent encore très insuffisants '
Alors que la Cnil publie son 28e rapport annuel, son président, également à la tête de ses homologues européennes, réclame plus de moyens pour ses missions complémentaires.
La loi vous apparaît-elle mieux appliquée depuis l'implantation des correspondants informatique et libertés (CIL) dans les sociétés ?Alex Türk : La désignation de CIL, ajoutée à l'aspect pédagogique lié au contrôle, sont deux piliers pour l'application de la loi. En mars dernier, 2 438 organismes ?" à 90 % des entreprises
?" avaient désigné 845 correspondants. Ces entreprises bénéficient d'un allégement des formalités, et économisent du temps et de l'argent. Nous avons aussi fortement développé notre politique de contrôles : elle a eu un effet pédagogique.
Le plus souvent, l'organisation professionnelle à laquelle appartient une entreprise qui s'est mise en infraction informe ses adhérents. Il y a encore quatre ans, nous faisions dix contrôles annuels. Nous en avons effectué 164 en 2007 et passerons
le cap des 200 en 2009.Qu'est-ce qui vous inquiète aujourd'hui ?AT : Trop d'entreprises détiennent encore des fichiers en dehors du champ de la loi. Autre souci, le recours croissant à la surveillance vidéo, à la biométrie, à la géolocalisation, etc. Prises isolément,
entreprise par entreprise, ces technologies ne posent pas de problème majeur. En revanche, ce pourrait être le cas si le phénomène s'amplifie.La Cnil apparaît en retrait par rapport à ses homologues européennes ?AT : Nos voisins se concentrent sur un seul axe. Le Royaume-Uni communique, l'Allemagne déploie des CIL et l'Espagne développe les contrôles. C'est pourquoi ils sont plus performants que nous, chacun dans leur
spécialité. En France, nous cumulons plusieurs actions : de communication, pour expliquer les règles du jeu en matière de protection des données personnelles ; de déploiement de CIL, capables de relayer notre travail dans les sociétés, en
favorisant leur implantation. Nous développons contrôles et sanctions. Enfin nous sommes l'un des rares pays à disposer d'un service d'expertise pour anticiper les évolutions technologiques. Nous devons donc avoir les moyens d'utiliser tous ces
instruments. Notre budget est passé de 9,9 millions d'euros en 2007 à 11,4 millions d'euros en 2008. Mais c'est encore très insuffisant.La Cnil compte-t-elle recruter des techniciens en 2008 ?AT : L'effectif sera de 120 personnes fin 2008, contre 75 en 2004. Parmi les profils techniques, nous allons doubler le nombre de nos contrôleurs (de cinq à dix). Ils ont une double compétence : informatique
et juridique. Nous reconstituons également le service d'expertise technologique qui n'existait plus. Nous recrutons pour cela des ingénieurs de haut niveau capables de discuter avec les grandes sociétés que nous allons contrôler. Ils seront quatre
en fin 2008.Quelles sont vos ambitions en tant que nouveau président du groupe des ' Cnil européennes ', le G29 ?AT : Le G29 doit se saisir de grands sujets de fond de manière indépendante afin d'alerter les pouvoirs publics. J'ai proposé qu'il monte lui-même des opérations autour de deux idées fortes : l'audition de
grandes entreprises (celles qui développent par exemple les moteurs de recherche) et l'élaboration d'un rapport, comme nous l'avons fait récemment sur ce sujet. Je souhaite aussi que nous soyons capables de mettre en place des programmes d'expertise
technologique ou de veille. Nous ne devons pas nous contenter de réagir à une demande, mais être proactifs. Il faut que nos experts européens aient un pouvoir de veille et d'alerte. J'ai enfin demandé à la Commission européenne que le G29 soit doté
d'un budget propre pour mener sa mission.