Pierre Pezziardi, DSI de la Bred Banque Populaire, n'est pas certain que supprimer les courriels et passer au mode 2.0 améliore la productivité des collaborateurs. Selon lui, il s'agit avant tout d'un problème d'organisation.Thierry Breton, ancien ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, ex-patron de l'opérateur France Telecom et actuel dirigeant de la SSII Atos Origin, souhaite éradiquer les courriers électroniques internes. Ces derniers pollueraient le temps de ses collaborateurs, à hauteur de cinq à vingt heures par semaine. Quatre-vingts pour cent du flux de messagerie seraient ainsi proprement contre-productifs. La volonté du PDG d'Atos est de transvaser les usages bénéfiques de la messagerie interne dans les outils dits de “ réseaux sociaux ”, messagerie instantanée, wikis et autres moteurs de recherche.
L'intranet devait déjà remplacer le middle management
Louable intention, en voilà du “ pantouflage ” actif ! Et malin de surcroît, car Atos Origin s'offre ainsi une large publicité sur le thème de la rénovation des intranets des entreprises, ses clientes. Pourtant, le doute est permis. Un outil n'a jamais modifié un comportement profond ; personne n'a jamais arrêté la consommation d'alcool ou de drogues en les interdisant. Dans les années 2000, les intranets devaient déjà remplacer le middle management, fluidifier l'information et la prise de décision collective. Or, à ce jour, il ne m'a pas été donné d'observer de tels systèmes et de tels résultats dans une grande entreprise ou administration.Loin de ces intranets censés rendre plus efficaces des communautés de collaborateurs, des systèmes tels que Facebook ou Wikipédia nous envoient des signaux plus clairs de réussite. Bien que diamétralement opposés ? l'un est au service de la promotion de l'ego (et plus récemment de causes allant sensiblement au-delà de l'apéritif géant), l'autre destiné à la fabrique d'une encyclopédie universelle et gratuite ?, ces systèmes ont un point commun : ils obéissent à des règles différentes de nos traditionnelles entreprises pyramidales, où les circuits d'information et de décision empruntent structurellement des chemins complexes, dont la pollution du courriel n'est que le reflet extérieur, pas la cause. Observez donc ces messages coupables, ou plutôt ces danses de soumission, ces rixes territoriales ou ces illusions du verbe : “ Regardez chef, j'ai fait ceci. ” “ TR: TR: RE: RE: Regardez comme j'ai raison de régler ce conflit ici, qu'il est idiot celui-là de l'autre clan. ” Ou l'incantatoire “ RE: Merci de faire ceci ASAP ” La messagerie électronique n'est qu'un tuyau, que l'on aurait d'ailleurs pu appeler “ réseau social ” si un petit malin avait mis l'expression à la mode à l'époque. Il faudra donc un jour se le dire, les outils de réseaux sociaux ne dégagent de nouveaux bénéfices que si l'on change les règles de la collaboration entre leurs utilisateurs. Et ces règles s'avèrent malheureusement incompatibles avec le mode hiérarchique de nos organisations pyramidales. Ces outils mettent l'opérateur et le directeur sur le même mur, sur le même document. C'est une révolution copernicienne, parce que le monde est redevenu plat !Le pouvoir des coaches
Dans les entreprises où se répandent les méthodes agiles ou Lean, les réunions d'écoute, les propositions émanant de tous, les indicateurs au mur et au vu de tous expriment déjà cette transition. Les chefs n'y sont plus des “ dépositaires du pouvoir temporel ” (et du monopole de la violence légitime qui en découle), têtes dépossédant les jambes de toute velléité d'intelligence ou d'autonomie, mais plutôt des coaches, exerçant un pouvoir spirituel et créant les conditions de l'autonomie et de l'engagement de leurs équipes. Dans ces lieux, vous trouverez souvent un wiki, une messagerie instantanée, ou encore un fil Twitter, mais personne pour vous dire que ces outils sont à l'origine de leur organisation et de ses résultats.Thierry Breton n'a pas annoncé qu'il allait modifier les principes de son organisation pour en éradiquer le fléau du courriel contre-productif. Mais s'il ne le fait pas, les tuyaux de ses futurs réseaux sociaux seront bouchés par les flots de danses du chef, de “ micro-décisionite ” et autres épanchements de conflits territoriaux… et ce, en couleurs, avec votre photo, des étoiles “ rate this ” et un bouton “ I like ” !Pierre Pezziardi (pezziardi.net) est également l'auteur de l'ouvrage Lean Management, l'informatique conviviale, publié aux éditions Eyrolles.
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