“ Le numérique n'est pas conçu pour être conservé ”
Françoise Banat-Berger, conservateur général du patrimoine, travaille depuis 1995 à la question de la pérennisation de l'information numérique.En quoi le passage des archives au numérique est-il d'actualité ?Françoise Banat-Berger : Le développement de l'administration électronique et la dématérialisation des processus ont modifié la donne. La loi du 13 mars 2000 a doté les documents électroniques de la même valeur de preuve que le papier, à condition de pouvoir identifier les auteurs et de garantir l'intégrité des documents lors de leur conservation. Certaines administrations produisent déjà des originaux numériques avec des outils de signature électronique.Qu'est-ce que la dématérialisation implique au niveau de l'archivage ?FB-B : Le transfert vers un système d'archive électronique (SAE) doit être assuré de manière définitive à la clôture des dossiers. Mais aussi lorsque la durée de conservation intermédiaire de certains fichiers est considérée comme longue.Quelles sont les problématiques à moyen terme ?FB-B : Le numérique n'est pas fait pour être conservé, en raison de l'obsolescence des formats, des logiciels, des matériels et des périphériques. Les environnements technologiques évoluent rapidement. Jusqu'à très récemment, avant la normalisation des formats, il n'y avait pas de comptabilité ascendante sur le long terme pour les formats bureautiques. Les fichiers non convertis régulièrement n'étaient plus lisibles. Les formats les plus problématiques sont ceux dont les spécifications ne sont pas publiques. Quant aux supports, soit ils se détériorent ? ce qui est inéluctable ?, soit ils ne sont plus disponibles en raison des évolutions des sociétés qui les commercialisent.Avez-vous trouvé des solutions ?FB-B : Pour ne pas dépendre de supports tombant en désuétude, nous organisons des migrations vers d'autres supports, mais aussi vers des formats ouverts et normalisés. Notre politique d'archivage décrit les règles juridiques, techniques et organisationnelles qu'un SAE doit couvrir pour garantir qu'un document a valeur de preuve. Les données archivées doivent être dupliquées sur deux sites distants et, si possible, sur deux supports différents. De plus, nous avons participé à l'élaboration du RGI (Référentiel général d'interopérabilité), qui recense les normes disponibles, en particulier l'internationale OAIS (Open Archival Information System) et l'Afnor Z42-013 pour les spécifications techniques. Nous avons également élaboré le Seda (Standard d'échange de données pour l'archivage), qui s'appliquera aux messages entre le système d'information des administrations et celui du service public d'archivage. Ce standard s'appuie sur nos normes métier.Des archives électroniques ont-elles déjà été versées dans les SAE ?FB-B : A quelques exceptions près, le réseau des archives publiques en est encore au stade de l'accompagnement des projets de dématérialisation et d'organisation des premiers versements. Un travail très important reste à faire en amont afin de mettre en place la gestion du numérique au sein des administrations. L'utilisation du standard d'échange de données implique la mise à jour des applicatifs métier et des tiers de télétransmission. Certaines GED (gestion électronique de documents) doivent également évoluer car elles ne disposent pas de fonctionnalités de cycle de vie suffisantes. Par exemple, il n'est pas toujours possible d'appeler tous les dossiers clôturés depuis une date donnée pour organiser leur suppression ou leur versement. Le travail des archivistes se déplace donc vers l'accompagnement de projets informatiques. Ils restent néanmoins chargés de la collecte des documents papier en parallèle. Les projets, complexes, nécessitent un niveau de qualification plus élevé que pour la gestion des archives papier, même si les mêmes compétences archivistiques sont requises dans les deux cas.
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