Benoit Thieulin (CNNum) : « Nos travaux doivent être les plus transparents possible. »

Nouveau président du Conseil national numérique, Benoit Thieulin précise à 01 quel sera le rôle de ce CNNum deuxième du nom qui se réunira toutes les semaines.

Le Conseil national du numérique, alias lCNNum, a été créé par Nicolas Sarkozy en 2011 pour conseiller le gouvernement sur les sujets liés au numérique. Trente nouveaux membres ont été nommés en janvier. Son nouveau président, Benoit Thieulin, précise à 01 quelles seront les missions et la ligne de conduite de ce CNNum 2.0 qui se réunira toutes les semaines.
Lors de sa création, le CNNum a subi de nombreuses critiques. Quel était votre avis à l'époque ?
Benoit Thieulin : le principe du CNNum m’a semblé bon dès sa création. Il manquait en France un organe consultatif connecté aux acteurs numériques. Le débat sur la Hadopi s’est très mal engagé à cause de ça. Mais si le constat à l’origine du conseil me paraît valable, le déséquilibre des profils de ses membres était problématique.
A l’époque, le CNNum était beaucoup trop focalisé sur l’aspect commercial du numérique et sur les gros acteurs. Le numérique ne concerne pas que le secteur marchand, et pas que les grands du secteur. Il était important de diversifier les profils en termes de genre – 15 hommes et autant de femmes –, et de génération – 15 membres ont plus de 45 ans et autant ont moins de 45 ans – mais aussi de points de vue (secteur marchand, chercheurs...).
Concilier ces différents points de vue ne risque-t-il pas d'être difficile ?
BT : lors de mon expérience sur Désirs d’avenir (le site web participatif de Ségolène Royal lorsqu’elle était candidate aux primaires socialistes en 2006 - NDLR), je devais gérer des milliers de personnes qui postaient des avis contradictoires sur la plate-forme. cC’était autrement plus difficile à gérer que les 30 membres du CNNum.
Pour l’instant, l’alchimie entre les membres fonctionne bien. J’aime faire travailler ensembles des gens différents qui ne parlent pas le même langage, mais qui parlent du même sujet. Notre objectif sera surtout de trouver des réponses équilibrées.
En France, les gens aiment bien jouer sur les oppositions : secteur non marchand contre marchand, public contre privé, américain contre français. Or ce qui a permis d'inventer Internet, c'est, à l'inverse, un art du compromis. Internet était une initiative militaire reprise par des chercheurs sur un campus qui se révoltaient contre la guerre au Vietnam… La force d’internet, c’est son hybridation.
Sur certaines thématiques, le gouvernement ne vous demande-t-il pas des réponses trop tranchées ?
BT : nous ne serons pas nécessairement binaires. Dans l’idéal, nous essaierons de justifier notre réponse, d’argumenter, voire d’assortir notre réponse d'un avis minoritaire, autrement dit d’expliquer le point de vue de certains membres du CNNum qui seraient en désaccord avec l’opinion générale.
Cette idée nous a été inspirée par ce que fait la Cour suprême américaine. Il lui arrive de trancher sur un sujet tout en indiquant qu’une minorité importante pense différemment.
Au final, vous avez essentiellement un rôle consultatif ?
BT : nous devons éclairer le gouvernement sur les sujets liés au numérique mais aussi mettre en lumière certains sujets sur la place publique. Nous avons un rôle pédagogique à jouer vis-à-vis du grand public. Et nous avons le droit de nous autosaisir sur une question qui nous paraîtrait importante et que le gouvernement ne nous aurait pas posée. Pour rester maître de notre ordre du jour, nous avons aussi le droit de décliner une saisine du gouvernement.
Sur quelles problématiques allez-vous d'abord travailler ?
BT : trois missions ont déjà été affectées au CNNum. Et trois types de réponses sont donnés aux saisines du gouvernement. D’abord, des avis à donner rapidement pour trancher une question sur des thématiques comme la neutralité d’internet. Le délai est court et la réponse doit être précise : oui ou non.
Ensuite, des concertations sont organisées, comme sur le rapport sur la fiscalité des acteurs du numérique que viennent de rendre les inspecteurs de finance Colin et Collin. L’objectif n’est pas de dire ce qu’il faut faire ou ne pas faire mais d’organiser une concertation sur plusieurs mois et d’explorer la problématique avec les acteurs du secteur.
Enfin, nous devrons faire des recommandations en commençant par la fracture numérique. Aujourd’hui, le taux d’équipement des ménages comme des entreprises est plutôt bon. Et la révolution du mobile achève de démocratiser le numérique. Mais ce n’est pas parce que toutes les PME ont accès à internet qu’elles ont mis en place des PGI (Progiciel de gestion intégrée - NDLR).
Ce mode de fonctionnement parait un peu opaque vu de l’extérieur…
BT : j’aimerais que nous soyons le plus transparent possible sur nos travaux, en fournissant des documents au grand public, voire en organisant des débats avec la société civile. Vu mes engagements passés, je ne peux pas ne pas être actif sur ce genre de sujet.
Indirectement, mon expérience avec Désirs d'avenir irrigue toute ma réflexion sur la démocratie participative. Il y a beaucoup de choses que j’aimerais faire sur ces thématiques comme publier étape par étape les avancées des réflexions des groupes de travail.
Comment comptez-vous faire participer le grand public ?
BT : sur le sujet de la fiscalité du numérique, nous allons commencer par constituer un fond documentaire pour regrouper les documents les plus importants sur le domaine. Dans l’idéal, cette liste sera arrêtée assez vite et pourra être diffusée à l’extérieur pour que le grand public puisse nous prévenir s’il pense qu’un document important manque. Mais l’ouverture au plus grand nombre n’a pas vocation à être systématique.
> Retrouver le portrait de Benoit Thieulin, président du Conseil national du numérique, dans le numéro du magazine 01 Business du 28 février.